29 août 2014

Paul Léautaud, sur le désir, les femmes, et le plaisir

Portrait de Paul Léautaud par Émile Bernard
Musée Calvet, Avignon




« (...) Ne compter sur rien. Ne rien chercher – me va parfaitement. Odieux d'aller rendre visite à une femme qu'on connaît à peine, à peu près arrêté qu'on fera l'amour. Pas de meilleur moyen pour rester en plan, – au moins pour moi. Tandis que laisser venir, attendre l'occasion, le moment, l'accord réciproque, sans y penser... On peut au moins compter sur quelque agrément quand on y arrive. Et puis, je suis toujours à ce point : je ne désire vraiment absolument rien. »

— 9 février 1933


« (...) Après bien de la conversation, étendue sur son divan, me demande de venir près d'elle. Deux ou trois baisers. Je constate qu'elle a encore son pyjama fermé. Je dis que c'est peu galant, pour la visite d'un monsieur. Elle a ce mot : « Mon Dieu, que les hommes sont bêtes! » Je demande l'explication. Après s'être fait prier : « Ce que cela veut dire ? Que ce qui gêne, il n'y a qu'à l'enlever. » Je lui ai expliqué que moi, je trouve bien mieux qu'on offre soi-même ce qui doit être offert. J'ai baissé le pyjama, peloté un peu. Heureusement il était tard. L'heure du dernier tramway. Je suis parti. »

— 12 février 1933


« (...) J'augmente mon expérience – tardive – sur les femmes. 1° Qu'il y en a beaucoup qui peuvent être fort agréables. 2° Que c'est une fameuse illusion (cela, il est vrai, je le sens depuis longtemps) de croire qu'il n'y en a qu'une (quand on est épris) qui soit la perle pour le plaisir. 3° Qu'il y a dans le nombre plus de putains dégourdies qu'on ne le croit. Ce que j'écris là est une niaiserie. Mais j'ai été dans ce domaine un niais longtemps. Il m'en reste du reste encore. (...) »

— 10 mai 1933


« Dix heures et demie du soir. M.D. [Marie Dormoy] pas venue. J'aurai certainement une lettre demain. Nous allons voir ce qu'elle va raconter. Probablement malade, ou obligée d'aller chez Vollard. Elle commence à m'agacer avec son esclavage Vollard. Je m'attends à ce qu'elle me dise un jour, elle aussi : « Mais, mon cher, vous ne me faites pas vivre. Quand on veut qu'une femme soit à votre disposition, on la fait vivre. » Entendu! Mais ce n'est pas moi qui suis allé la chercher. J'en ai assez de passer toujours après mille autres choses. Elle n'est pas jolie. Elle est comme un mannequin quand elle fait l'amour. Elle n'a rien de très agréable à montrer quand elle est nue. Elle devrait comprendre cela.
Quoiqu'il soit bien agréable, telle qu'elle est, de l'avoir l'été, pendant l'absence du « Fléau ». Surtout maintenant, que tous les deux arrivés à une certaine intimité et liberté physiques. Tout est ainsi dans la vie, dans tous les domaines : il faut savoir se contenter d'à peu près. (...) »

— 2 octobre 1933

Paul Léautaud, Journal particulier 1933 ; Mercure de France (1986).

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