18 janvier 2013

Jacques Perret, sur le patrimoine


« (...) Un rayon prenait la rue d'enfilade et venait illuminer la chambre à travers un grand rideau de tulle. Rien ne vaut un mur blanchi à la chaux pour illustrer le petit rayon matinal et lui faire jouer son vrai rôle, qui est d'annoncer la fête et les mystères joyeux, quoi qu'il arrive et où qu'il soit, quitte à se faire insulter. La photo agrandie d'un paysan soldat, moustache à la Charleroi, regardait fièrement le soleil, tandis qu'à ses pieds scintillait une vue de la Côte d'Azur incrustée de nacre sur tranche de sapin vernie, et je me sentais disposé à trouver tout cela digne d'être défendu, sans discussion, comme un patrimoine sacré qu'on n'a pas choisi. Tout n'est pas de cette qualité, d'ailleurs, dans le patrimoine en question. On y a introduit à l'esbroufe tout un bric-à-brac interlope qui commence à nuire un peu au caractère sacré de la collection. S'il y avait moyen, j'aimerais faire une sélection dans le patrimoine, mais il paraît que ce n'est pas possible et, pour garder ce qu'on aime, il faut sauver ce qu'on déteste. Quelquefois cela donne à réfléchir et même envie de se fâcher : on sauve les meubles, et les imbéciles vont s'y carrer pendant le temps qu'on nettoie le fusil et qu'on embrasse les gosses, zut ! Et puis on se fait une raison en pensant que les meubles dureront peut-être plus longtemps que les imbéciles, hasardeux calcul. (...) »

Jacques Perret, évoquant ses souvenirs de maquisard dans Bande à part (1951) ; Gallimard /  Folio.

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