« (...) Tous les régimes, au cours de l'Histoire, ont tenté de former un type d'homme accordé à leur système, et présentant par conséquent la plus grande uniformité possible. Il est inutile de dire une fois de plus que la civilisation moderne dispose, pour atteindre ce but, de moyens énormes, incroyables, incomparables. Elle est parfaitement en mesure d'amener peu à peu le citoyen à troquer ses libertés supérieures contre la simple garantie des libertés inférieures, le droit à la liberté de penser - devenu inutile puisqu'il paraîtra ridicule de ne pas penser comme tout le monde - contre le droit à la radio ou au cinéma quotidien.
Je m'excuse de donner à une pensée absolument juste cet accent d'ironie, cette pointe d'humour. Il est évidemment difficile de représenter un citoyen des Démocraties venant échanger, au guichet de l'État, sa liberté de penser contre un frigidaire. Les choses ne se passeront pas exactement ainsi, bien entendu. Mais nous savons la tyrannie que l'habitude exerce sur presque tous les hommes. Nous voyons aujourd'hui la spéculation exploiter avec une espèce de rage croissante les habitudes de l'homme. Elle en crée sans cesse de nouvelles - en même temps que les joujoux mécaniques que ses ingénieurs lui fournissent, et qu'elle jette inlassablement sur le marché. La plupart de ces besoins, constamment provoqués, entretenus, excités par cette forme abjecte de Propagande qui s'appelle la Publicité, tournent à la manie, au vice. La satisfaction quotidienne de ces vices portera toujours le nom modeste de confort, mais le confort ne sera plus ce qu'il était jadis, un embellissement de la vie par le superflu, le superflu devenant peu à peu l'indispensable, grâce à la contagion de l'exemple sur les jeunes cerveaux de chaque génération. Comment voulez-vous qu'un homme formé, dès les premières heures de sa vie consciente, à ces innombrables servitudes, attache finalement grand prix à son indépendance spirituelle vis-à-vis d'un système précisément organisé non seulement pour lui donner au plus bas prix ce confort, mais encore pour l'améliorer sans cesse ? (...) »
Georges Bernanos, La révolution de la liberté (Décembre 1944), texte annexé à La France contre les robots (1945) ; Éditions Le Castor Astral (2009).
Un extrait qui donne envie d'en lire davantage...
RépondreSupprimerJe ne peux que t'y encourager. La seule réserve que je peux avancer, c'est sur le style, un tout petit peu trop lyrique à mon goût à certains moments. Pour le reste, sa critique du monde moderne est on ne peut plus actuelle, malgré les années (pas loin de 70 ans quand même).
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