En 1899, Joris-Karl Huysmans quittait Paris pour se retirer à Ligugé, près de Poitiers, où il se destinait à une fin de vie mystique. Deux ans plus tard, il est contraint de revenir dans sa ville natale, transformée radicalement par l'Exposition Universelle 1900 et la modernité qui s'installe avec le nouveau siècle, et le spectacle auquel il assiste le désole.
Il en tire ce court texte, qui restera à l'état de manuscrit jusqu'en 1966 lorsque le Bulletin de la Société J.-K. Huysmans le publie, après quelques hésitations. Tergiversations non pas liées à la qualité du texte, mais plutôt à sa relative virulence, car il n'est pas grand-chose, dans le monde moderne, qui trouve grâce aux yeux de Huysmans. Le commerce, le savoir-vivre, les moyens de transport, le confort, l'état d'esprit de ses contemporains, tout est digne de dégoût aux yeux de l'écrivain.
A la lecture de ces quelques pages - dans lesquelles l'éditeur a choisi de faire figurer les corrections du manuscrit original (corrections volontairement retirées des citations qui suivent pour plus de fluidité) -, Huysmans peut parfois sembler excessif ou partisan, mais il ressort de cette lecture délectable bien des observations dignes de réflexion quant à nos modes de vie modernes.
« (...) Il est vrai que tout le monde maintenant porte des ponts de caoutchouc jetés d'une molaire à l'autre et que la chasse aux pellicules et l'apprêt des teintures et des toupets ont pris des proportions inconnues des gens d'autrefois qui consentaient sans doute plus aisément à vieillir.
Ajoutons que les réclames des panacées, dans la presse, réussissent et que le débit de ces vaines drogues nécessite cette abondance de pharmacies qui ne vendent plus, du reste, que des granules toutes faites et des sirops dont ils ne sont que les placiers. Ils sont devenus des entremetteurs de balivernes sanitaires pour la plupart.
Le malheur est que toutes ces solutions et que toutes ces boulettes achèvent de ruiner l'estomac et que l'on entrevoit les plaques de vulcanite et les crochets d'or chez les personnes qui rient trop ou qui bâillent ; le malheur est aussi que les teintures se décomposent ; des blonds repeints arborent des moustaches quasi roses et des bruns des barbes violettes ou d'un noir de cirage si cru, que l'artifice saute aux yeux et adjoint à la laideur naturelle, un ridicule. (...) »
« (...) Les boutiques dont le commerce est resté le même, se sont vaguement rajeunies avec un fard plus ou moins habile de peinture et d'or et elles se sont presque toutes allégées des vieilles femmes qui s'y tenaient. D'aucunes sont mortes ou retirées des affaires et les autres, qui n'étaient sans doute que des employées, ont été, pour cause de perte d'appas, renvoyées et des dames moins mûres, plus durement sanglées dans des robes plus fières ont été substituées, pour l'allèchement du public, aux vieilles inélégantes d'antan ; mais l'étiage de la marchandise a baissé ; la beauté des vendeuses s'exerce généralement au dam de l'acheteur. La vieillesse sans prétention avait du bon ; mais personne désormais n'en veut ; l'antique, le loyal commerce qui ne jetait pas de la poudre aux yeux est mort ; l'on peut presque dire que le charme de la tenancière est en raison inverse de la qualité des objets qu'elle vend. (...) »
« (...) Toujours est-il que cet incompréhensible besoin de fausse opulence s'est étendu à tous les métiers et qu'il a pénétré dans toutes les classes ; en dehors même des boutiques ; il s'atteste dans les immeubles destinés à loger des petits ménages ; il n'y a qu'à visiter, même dans les quartiers excentriques, ces surprenantes maisons neuves aux cages de fer, illustrées d'horribles vitrailles, en avance sur la façade, pour se rendre compte qu'un nouveau système d'appartements incommodes est inventé.
Partout, une antichambre très vaste, un salon et une salle à manger de confortable apparence, donnant sur la rue et paraissant à peu près clairs, et, derrière, des pièces minuscules, sans jour, ouvrant sur des puisards ; aucun lieu de débarras et nul placard. C'est là, dans ces pièces latrinières que l'on enfante et que l'on meurt ; tout pour le visiteur, rien pour l'intimité ; ce que l'ont voit, en entrant, a l'air de quelque chose et ce qui n'est pas destiné au public est ignoble. (...) »
Moins inspirés sont les deux textes qui complètent cet ouvrage, et que Huysmans consacre à la Hollande, pays dont il puise ses racines familiales. Le premier, se reportant à un voyage fait en 1877 alors que l'auteur n'a que 29 ans, est le récit d'un amoureux transi et dépaysé que tout émerveille. Huysmans y parle beaucoup d'art, mais on cherche son objectivité sans jamais la trouver. En ce sens, ce texte publié à l'époque dans une revue, n'a que peu d'intérêt.
Le second, écrit dix ans plus tard, laisse apparaître un regard plus critique. Passé le dépaysement et la surprise, Huysmans y va de quelques réflexions moins flatteuses sur la Hollande, sur sa gastronomie par exemple, ou encore sur les Hollandaises qu'il juge avec une certaine désobligeance.
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