14 novembre 2011

Bohumil HRABAL : Une trop bruyante solitude

Une trop bruyante solitude est souvent désigné comme le chef-d’œuvre de l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal. Court texte de 120 pages publié en 1976 alors que l'écrivain venait de recouvrer le droit de publier après plusieurs années d'interdiction par le pouvoir communiste, ce roman tourne précisément autour des thèmes de la censure et de l'aliénation.

C'est le récit à la première personne d'un ouvrier employé à détruire des livres interdits par le régime en place, un homme spirituel et rêveur cloitré dans un monde mécanique, et payé à détruire l'objet qu'il vénère. Car Hanta - le narrateur - en dépit de ses apparences un peu rustres et d'une hygiène sommaire, est un amoureux de l'Art. Ces années de labeur à détruire un savoir hors-la-loi, il les a pour bonne part employées à s'instruire et à sauver de son pilon tous les livres qu'il pouvait.

Si derrière la petite histoire au parfum poétique on lit une évidente dénonciation du totalitarisme communiste, si on devine facilement que le recours à l'allégorie fut pour l'auteur une condition impérative à la publication de ses livres dans une société verrouillée de toutes parts, il reste à mon sens, ou plutôt à mon goût, une forme trop abstraite ; l'auteur verse par ailleurs beaucoup dans la sacralisation de la chose artistique, et il y a dans le ton, me semble-t-il, une vénération du livre en tant qu'objet à laquelle je ne suis pas franchement sensible (d'autant moins à une époque où le livre est devenu support de toutes les inepties imaginables).

Restent cependant quelques passages, assez rares, qui retiennent mon attention : sans surprise, ceux versant dans une réalité non remodelée. Et en premier lieu ce passage en fin de livre, illustrant les changements sociétaux qui s'opéraient dans la jeunesse tchèque de l'époque, toute disposée à tourner le dos à son identité pour se soumettre joyeusement aux usages d'un monde moderne parfaitement uniforme : 

« (...) en l'espace d'une seconde, je sus exactement que cette gigantesque presse allait porter un coup mortel à toutes les autres, une ère nouvelle s'ouvrait dans ma spécialité, avec des êtres différents, une autre façon de travailler. Fini les menues joies, les ouvrages jetés là par erreur ! Fini le bon temps des vieux presseurs comme moi, tous instruits malgré eux ! C'était une autre façon de penser... Même si l'on donnait, en prime, à ces ouvriers un exemplaire de tous les chargements, c'était ma fin à moi, la fin de mes amis, de nos bibliothèques entières de livres sauvés dans les dépôts avec l'espoir fou d'y trouver la possibilité d'un changement qualitatif. Mais ce qui m'acheva, ce fut de voir ces jeunes, jambes écartées, main sur la hanche, boire goulûment à la bouteille du lait et du Coca-Cola ; elle était bien finie, l'époque où le vieil ouvrier, sale, épuisé, se bagarrait à pleines mains, à bras-le-corps avec la matière ! Une ère nouvelle venait de commencer, avec ses hommes nouveaux, ses méthodes nouvelles et, quelle horreur, ses litres de lait qu'on buvait au travail alors que chacun sait qu'une vache préférerait crever de soif plutôt que d'en avaler une gorgée. Ne pouvant plus supporter ce spectacle, je contournai la presse pour voir le résultat de sa force hydraulique, un énorme ballot aussi démesuré que le mausolée d'une riche famille au cimetière d'Olsany, aussi gros qu'un coffre ignifugé de la maison Wertheim ; il s'installa tout seul sur le plateau d'une grue roulante, une sorte de saurien qui, se retournant par saccades, le chargea directement sur un wagon. Je levai mes mains pour les examiner, des mains d'homme salies, aux doigts usés par le travail, noueuses comme des sarments de vigne, puis, les laissant retomber, je restai là, les bras ballants... (...) »

2 commentaires:

  1. Hé hé, je l'ai dans mes étagères... A lire bientôt donc...

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  2. Je te souhaite que sa lecture te paraisse un peu moins... négligeable.

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