En tant que romancier, Paul Morand m'intéresse peu. Je n'avais pas trouvé L'homme pressé inintéressant, mais ce genre de roman, même en développant une thèse à laquelle j'adhère – dans celui-ci, pointer du doigt l'empressement pathologique de l'homme moderne à courir toujours plus vite vers la mort – ce genre de roman, donc, manque à mon goût de personnalité. Je veux dire : d'impudeur de la part de son auteur vis à vis de lui-même. J'aime les écrivains qui cherchent à voir clair en eux-mêmes, c'est à mon sens la voie la plus efficace pour ensuite comprendre les autres.
A ce titre, une autre facette de l’œuvre de Morand attire plus vivement mon attention : ses écrits autobiographiques. Il existe des récits de voyage, des fragments de journaux intimes et particulièrement son Journal inutile. Et puis il y a aussi ce très court texte – Mes débuts – publié en 1933, alors que Morand était âgé de 45 ans.
Dans ce petit livre, Paul Morand regarde sa vie dans le rétroviseur, il évoque les nombreuses facettes qui ont rythmé son existence et sa carrière d'homme de lettres : études, carrière diplomatique, voyages, cinéma et bien sûr littérature.
A ce sujet, Morand propose une intéressante définition : la littérature est pour lui une « contribution à la grande enquête sur l'homme, (…) non pas l'homme « classique », semblable à lui-même en tout temps et en tout lieu, qu'on enseigne à l'école, mais l'homme d'un temps, d'une année, d'un jour, dont il fallait fixer sur l'heure la chronique. »
Bref, un instantané de la vie contemporaine, et une recherche de vérité puisqu'il y a enquête. Selon cette vision de la littérature, on pourra s'interroger sur le rôle que remplissent les rois de l'édition du moment, avec leurs « fictions historiques » (belle antinomie au passage), leurs polars américanisés ou leur sentimentalisme gentillet et bien improbable. Quel rapport a la vie d'un Français fait de chair et d'os en 2010 avec les frasques de Marie Antoinette, des enquêtes de la police scientifique de Miami ou encore de beaux sentiments purs avec des femmes parfaites ? Parenthèse fermée.
Paul Morand, lui, parle d'une vie qu'il connait bien, dans Mes débuts. Et il en parle avec une relative liberté et quelques touches d'un humour pince-sans-rire qu'il a probablement acquis en même temps que l'accent lors de ses séjours linguistiques en Grande-Bretagne lorsqu'il était enfant. Une époque sur laquelle il s'attarde au début du livre, pour livrer des sentiments d'ordre général plutôt pertinents :
« (…) On parle toujours des goûts d'un enfant. Mieux vaudrait s'inquiéter de savoir où se portent ses dégoûts. « J'ai le dégoût très sûr », disait Jules Renard ; c'est le cas de bien des débutants. N'arrive-t-il pas que l'on se définisse plus vite et plus facilement en disant non que oui ? (...) » (p.11)
« (…) commencer la vie avec beaucoup d'argent est une erreur, mais nous ne le savions pas. La fortune nous joue bien des mauvais tours : le pire, c'est de nous permettre de réaliser nos rêves. Or les rêves, et surtout ceux des jeunes gens, sont généralement idiots.(...) » (p.17)
L'écrivain évoque donc des souvenirs, certains assez cocasses de son amitié avec Proust, ou plus sérieusement, analyse en quelques lignes les courants littéraires de son temps, ou encore justifie les orientations prises par lui et les écrivains de sa génération :
« (…) Je suis d'accord avec Massis et avec ses jeunes disciples pour trouver beaucoup moins intéressants ces essais de codification du désordre, de mise en valeur des erreurs d'après guerre, de la glorification du doute, de la déification de l'évasion qui se manifestent à partir de 1925, c'est-à-dire à partir du moment où l'après-guerre perdait déjà de sa qualité et de son intérêt humain. Quand les critiques commencent à définir, les penseurs à mettre au point et les écoles à se former, on peut être sûr que le spectacle est fini. (...) » (p.46-47)
« (…) En France, depuis cinq ans, par pudeur, nous nous étions efforcés de purger la littérature de l'éloquence, de la prolixité, de la larme à l’œil. Nous fîmes ensuite de notre mieux pour débarrasser les récits de voyages de tout kimono, opium, pagode, vice de couleur et autres pousse-pousse ; en un mot, de toute cette crasse que l'exotisme littéraire avait entassée à la fin du XIXe siècle sur la beauté du monde. (...) » (p.50)
Et puis, en fin d'ouvrage, Morand règle ses comptes avec le cinéma :
« (…) Le cinéma, ce n'est pas le règne de la plume, c'est le règne des ciseaux. Ce n'est pas de la littérature, c'est de la couture. On n'y parle jamais d'écriture, mais de découpage ou de montage. Comme dans la couture, c'est la mode qui règne : vedettes ou figurants, auteurs ou dialoguistes, chacun apporte au marché ce que demandent les loueurs de salles. Les petites maisons copient les grands faiseurs, et les grands faiseurs produisent en série des films tirés de vieux opéras, dépècent les romans, maquillent les épopées, travestissent les mélodrames, commentent les nouvelles à la main et habillent les plus vieux faits divers de nouvelles parures. Le travail se fait en série. Je puis citer un studio où l'on fait faire les dialogues comiques par tel auteur, les passages dramatiques par tel autre, et les monologues par une dame spécialisée dans ce business... (...) » (p.57-58)
« (…) Ce que le texte d'un auteur devient entre les mains des maquignons de film, René Clair l'a décrit dans un article du Temps qui a fait pas mal de bruit ; on ne donnerait pas, disait-il, des conseils à un ingénieur sur la façon de construire un pont ; mais au cinéma, chacun se croit en devoir de donner son avis sur l'histoire que vous apportez. Le metteur en scène, les preneurs de vues, les maquilleurs, les dialoguistes, tous, jusqu'au barman et à l'habilleuse, collaborent et refont votre texte. (...) » (p.59-60)
« (…) un film n'est que par hasard une œuvre d'art ; c'est, avant tout, un papier de commerce : il doit être vendu avant d'être tourné ; plus il sera endossé et plus on trouvera à le placer. (...) » (p.60-61)
A ce titre, une autre facette de l’œuvre de Morand attire plus vivement mon attention : ses écrits autobiographiques. Il existe des récits de voyage, des fragments de journaux intimes et particulièrement son Journal inutile. Et puis il y a aussi ce très court texte – Mes débuts – publié en 1933, alors que Morand était âgé de 45 ans.
Dans ce petit livre, Paul Morand regarde sa vie dans le rétroviseur, il évoque les nombreuses facettes qui ont rythmé son existence et sa carrière d'homme de lettres : études, carrière diplomatique, voyages, cinéma et bien sûr littérature.
A ce sujet, Morand propose une intéressante définition : la littérature est pour lui une « contribution à la grande enquête sur l'homme, (…) non pas l'homme « classique », semblable à lui-même en tout temps et en tout lieu, qu'on enseigne à l'école, mais l'homme d'un temps, d'une année, d'un jour, dont il fallait fixer sur l'heure la chronique. »
Bref, un instantané de la vie contemporaine, et une recherche de vérité puisqu'il y a enquête. Selon cette vision de la littérature, on pourra s'interroger sur le rôle que remplissent les rois de l'édition du moment, avec leurs « fictions historiques » (belle antinomie au passage), leurs polars américanisés ou leur sentimentalisme gentillet et bien improbable. Quel rapport a la vie d'un Français fait de chair et d'os en 2010 avec les frasques de Marie Antoinette, des enquêtes de la police scientifique de Miami ou encore de beaux sentiments purs avec des femmes parfaites ? Parenthèse fermée.
Paul Morand, lui, parle d'une vie qu'il connait bien, dans Mes débuts. Et il en parle avec une relative liberté et quelques touches d'un humour pince-sans-rire qu'il a probablement acquis en même temps que l'accent lors de ses séjours linguistiques en Grande-Bretagne lorsqu'il était enfant. Une époque sur laquelle il s'attarde au début du livre, pour livrer des sentiments d'ordre général plutôt pertinents :
« (…) On parle toujours des goûts d'un enfant. Mieux vaudrait s'inquiéter de savoir où se portent ses dégoûts. « J'ai le dégoût très sûr », disait Jules Renard ; c'est le cas de bien des débutants. N'arrive-t-il pas que l'on se définisse plus vite et plus facilement en disant non que oui ? (...) » (p.11)
« (…) commencer la vie avec beaucoup d'argent est une erreur, mais nous ne le savions pas. La fortune nous joue bien des mauvais tours : le pire, c'est de nous permettre de réaliser nos rêves. Or les rêves, et surtout ceux des jeunes gens, sont généralement idiots.(...) » (p.17)
L'écrivain évoque donc des souvenirs, certains assez cocasses de son amitié avec Proust, ou plus sérieusement, analyse en quelques lignes les courants littéraires de son temps, ou encore justifie les orientations prises par lui et les écrivains de sa génération :
« (…) Je suis d'accord avec Massis et avec ses jeunes disciples pour trouver beaucoup moins intéressants ces essais de codification du désordre, de mise en valeur des erreurs d'après guerre, de la glorification du doute, de la déification de l'évasion qui se manifestent à partir de 1925, c'est-à-dire à partir du moment où l'après-guerre perdait déjà de sa qualité et de son intérêt humain. Quand les critiques commencent à définir, les penseurs à mettre au point et les écoles à se former, on peut être sûr que le spectacle est fini. (...) » (p.46-47)
« (…) En France, depuis cinq ans, par pudeur, nous nous étions efforcés de purger la littérature de l'éloquence, de la prolixité, de la larme à l’œil. Nous fîmes ensuite de notre mieux pour débarrasser les récits de voyages de tout kimono, opium, pagode, vice de couleur et autres pousse-pousse ; en un mot, de toute cette crasse que l'exotisme littéraire avait entassée à la fin du XIXe siècle sur la beauté du monde. (...) » (p.50)
Et puis, en fin d'ouvrage, Morand règle ses comptes avec le cinéma :
« (…) Le cinéma, ce n'est pas le règne de la plume, c'est le règne des ciseaux. Ce n'est pas de la littérature, c'est de la couture. On n'y parle jamais d'écriture, mais de découpage ou de montage. Comme dans la couture, c'est la mode qui règne : vedettes ou figurants, auteurs ou dialoguistes, chacun apporte au marché ce que demandent les loueurs de salles. Les petites maisons copient les grands faiseurs, et les grands faiseurs produisent en série des films tirés de vieux opéras, dépècent les romans, maquillent les épopées, travestissent les mélodrames, commentent les nouvelles à la main et habillent les plus vieux faits divers de nouvelles parures. Le travail se fait en série. Je puis citer un studio où l'on fait faire les dialogues comiques par tel auteur, les passages dramatiques par tel autre, et les monologues par une dame spécialisée dans ce business... (...) » (p.57-58)
« (…) Ce que le texte d'un auteur devient entre les mains des maquignons de film, René Clair l'a décrit dans un article du Temps qui a fait pas mal de bruit ; on ne donnerait pas, disait-il, des conseils à un ingénieur sur la façon de construire un pont ; mais au cinéma, chacun se croit en devoir de donner son avis sur l'histoire que vous apportez. Le metteur en scène, les preneurs de vues, les maquilleurs, les dialoguistes, tous, jusqu'au barman et à l'habilleuse, collaborent et refont votre texte. (...) » (p.59-60)
« (…) un film n'est que par hasard une œuvre d'art ; c'est, avant tout, un papier de commerce : il doit être vendu avant d'être tourné ; plus il sera endossé et plus on trouvera à le placer. (...) » (p.60-61)
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