Peut-être, comme moi, êtes-vous exaspérés par cette tendance contemporaine à se pâmer devant tout ce qui est subversif, glauque ou violent, non pour y chercher une vérité au fond du sordide, mais pour le niais plaisir de se prétendre anticonformiste.
L'anticonformisme est devenu conformisme, car la subversion est depuis bien longtemps traitée comme un filon commercial, dans lequel se nichent tout un tas de vaniteux plus soucieux que quiconque de leur image. On les dit « underground », mais on entend parler d'eux dans tous les journaux, sur toutes les chaines de télé. Ils font du rock, du rap, des films prétendument dérangeants où il est question de sexe, de drogue, de crapuleries diverses ; on s'y balance des références culturelles populaires qui font bien, on parle de révolution, on maudit le monde marchand dans les marchandises que l'on rêve de vendre par millions, on amuse la galerie. Et quand ils ne sont ni musiciens, ni cinéastes, ces gens écrivent.
Je ne voudrais pas faire de diagnostic à l'emporte pièce, mais selon moi, Lydia Lunch présente les symptômes de ce mal sans doute incurable : l'amour de la subversion.
Dans Paradoxia, qui se veut récit autobiographique, Lunch se présente à son avantage au regard de sa cible commerciale : putain nymphomane cupide et cruelle. Nous avons là quelques ingrédients pour le bouquin à scandale qu'on fabrique selon les mêmes recettes que les mauvais films hollywoodiens (vous me pardonnerez ce pléonasme) : en agglomérant des tombereaux de clichés. Et dès les premières pages, ce besoin de choquer apparaît comme la motivation première de sa démarche que je qualifierai généreusement de « littéraire ».
Dans ce livre, Lydia Lunch ne cherche pas des vérités, ni sur elle-même, ni sur le monde, la société, la nature humaine, ou ce genre de bagatelles, non, dans ce livre, Lydia Lunch célèbre sa vilenie à chaque page. Et pour s'assurer qu'on ne se méprendra pas, et qu'on ne lui prêtera pas des vertus cachées, elle enfonce le clou en permanence, affirmant toutes les trois pages que les hommes sont pour elle des jouets qu'elle utilise, qu'elle n'aime personne (en dehors d'elle-même, ce qu'elle n'a pas besoin de préciser), est capable d'embobiner n'importe qui, maîtrise tout, etc... etc...
La répétition, Lydia Lunch connait. On s'en accommoderait si l'on était dans le registre comique, mais dans ce livre, rien de drôle. L'humour, l'autodérision, Lunch ne connait pas. Sa vie est un sujet sérieux, qu'elle ne saurait souiller par le rire, semble-t-il. Donc, Lunch exploite la répétition jusqu'à l’écœurement. Les chapitres se suivent et se ressemblent : drogue, baise, violence gratuite, crétineries diverses (fascination pour les tueurs en série, par exemple). Des chapitres entiers consacrés à la baise, des descriptions cliniques bien barbantes du menu des coïts, détails divers. Scatologie, ondinisme, sadomasochisme, et même une évocation zoophile pour que le catalogue soit bien complet et qu'aucune supposée transgression ne soit oubliée.
Dans un chapitre, Lunch cite Georges Bataille ; la différence entre elle et lui, c'est que lui, son penchant érotomane ne l'empêchait pas de réfléchir, et de porter un regard au-delà de son nombril, « pour ce que j'en sais ». Et là, j'utilise un procédé critique de Lunch, qui évoque brièvement Bukowski, dans un passage sans grand intérêt :
« (…) Un papy édenté s'approche en titubant. Son sixième sens le prévient que je suis une femelle, c'est tout ce qu'il a besoin de savoir. Timide, pathétique, il me demande poliment si j'aimerais danser. Mon sens aigu de la perversion me pousse à accepter. Il pose sa main poilue et moite sur ma hanche, et je lui touche légèrement l'épaule, humide d'une transpiration malsaine. Il chantonne doucement, des larmes silencieuses inondent les plis profonds et les crevasses de son visage. J'essaie de me convaincre qu'il s'agit de Bukowski. Cela ne nécessite pas un grand effort, pour ce que j'en sais, lui aussi a d'épais volumes de réflexions de vieillard triste, dans le centre d'hébergement qui lui sert de domicile, en face de Nathan's Hot Dogs. (...) » (p.48)
« Réflexions de vieillard triste » ; ainsi Lunch semble résumer l'œuvre de Bukowski. Je n'ai jamais senti de réelle tristesse dans les écrits de l'écrivain ; à mon sens, Bukowski était dans le constat désabusé de la vanité de toute chose, pas dans l'interprétation de ses sentiments et encore moins dans le pathos. Je pense que Bukowski ne prenait pas la vie suffisamment au sérieux pour s'épancher dans ses écrits sur sa propre peine. Ses souvenirs d'enfant battu ont-ils jamais été larmoyants ? Aurais-je mal lu son œuvre ? Lui, par exemple, était capable de prendre sa vie âpre à la légère, de parer toute chose sordide d'une pellicule de dérision qui nous évitait les complaintes déguisées dont nous bassine Lunch dans son livre. Il décrivait sa vie sans en faire un exemple à suivre, sans se célébrer. Mais plus encore, Bukowski jonchait ses textes de phrases lumineuses, dont les quelques mots suffisaient à lever le voile sur des vérités que la plupart des gens s'entêtent à refouler ou à nier.
Du côté de Paradoxia, la moisson est maigre, et le peu qu'on extrait semble couvert de moisissures. La seule citation à mon sens digne d'intérêt, digne de ce qu'on attend d'un regard féminin sur la vie et en l'occurrence sur les hommes, pour compléter ou contrebalancer une interprétation masculine plus foisonnante :
« (…) La plupart des hommes étaient trop demandeurs, désespérés, dépendants. Des petits garçons jamais capables de tuer la petite fille en eux. Ils quémandaient toujours de l'amour, de la compassion, une attention constante, une confirmation de leur virilité, une reconnaissance sexuelle, un culte phallique. Exactement comme des michetons, sauf qu'ils n'appréciaient pas de payer pour ça. Pourtant, ils se faisaient quand même avoir. D'une façon ou d'une autre. (...) » (p.75)
C'est maigre, comme je le disais. Lydia Lunch préfère s'entêter à mystifier autant qu'elle peut. C'est en tout cas l'impression qu'elle me donne, avec son ramassis de clichés de la déglingue, sa surenchère permanente dans le sordide, son goût pour le superlatif, bref, son sens involontaire mais aigu de la caricature. Une autre tendance qui, à mon sens, trahit la fausseté au moins partielle de son récit, c'est sa passion de l'épithète. Chez elle, les larmes sont silencieuses, les perceuses sont affolées, et je passe le reste, le livre en compte par dizaines. Son souci bourratif du détail aussi (et peut-être même plus encore), lorsque, par exemple, elle raconte l'histoire d'un de ses amants, le « nazi espagnol », qu'elle n'a bien sûr pas connu à l'époque des faits qu'elle rapporte, la déferlante de précisions invérifiables mais dont le seul but évident est de décupler l'aspect pathétique et odieux, toute cette épicerie de mauvais sentiments paraît tout bonnement pitoyable.
Plus pitoyable encore est la fin du livre, d'abord le supplice du spiritualisme « new age » et des délires épouvantablement grotesques et confus auxquels nous livre Lydia Lunch, pour finir sur un chapitre conclusif de bavardages et de thèses foutaiso-psychologiques totalement abscons et sans intérêt qui font finalement regretter l'obscénité purement gratuite et stérile, et la vacuité littéraire, sensitive, philosophique et intellectuelle des premiers chapitres.
L'anticonformisme est devenu conformisme, car la subversion est depuis bien longtemps traitée comme un filon commercial, dans lequel se nichent tout un tas de vaniteux plus soucieux que quiconque de leur image. On les dit « underground », mais on entend parler d'eux dans tous les journaux, sur toutes les chaines de télé. Ils font du rock, du rap, des films prétendument dérangeants où il est question de sexe, de drogue, de crapuleries diverses ; on s'y balance des références culturelles populaires qui font bien, on parle de révolution, on maudit le monde marchand dans les marchandises que l'on rêve de vendre par millions, on amuse la galerie. Et quand ils ne sont ni musiciens, ni cinéastes, ces gens écrivent.
Je ne voudrais pas faire de diagnostic à l'emporte pièce, mais selon moi, Lydia Lunch présente les symptômes de ce mal sans doute incurable : l'amour de la subversion.
Dans Paradoxia, qui se veut récit autobiographique, Lunch se présente à son avantage au regard de sa cible commerciale : putain nymphomane cupide et cruelle. Nous avons là quelques ingrédients pour le bouquin à scandale qu'on fabrique selon les mêmes recettes que les mauvais films hollywoodiens (vous me pardonnerez ce pléonasme) : en agglomérant des tombereaux de clichés. Et dès les premières pages, ce besoin de choquer apparaît comme la motivation première de sa démarche que je qualifierai généreusement de « littéraire ».
Dans ce livre, Lydia Lunch ne cherche pas des vérités, ni sur elle-même, ni sur le monde, la société, la nature humaine, ou ce genre de bagatelles, non, dans ce livre, Lydia Lunch célèbre sa vilenie à chaque page. Et pour s'assurer qu'on ne se méprendra pas, et qu'on ne lui prêtera pas des vertus cachées, elle enfonce le clou en permanence, affirmant toutes les trois pages que les hommes sont pour elle des jouets qu'elle utilise, qu'elle n'aime personne (en dehors d'elle-même, ce qu'elle n'a pas besoin de préciser), est capable d'embobiner n'importe qui, maîtrise tout, etc... etc...
La répétition, Lydia Lunch connait. On s'en accommoderait si l'on était dans le registre comique, mais dans ce livre, rien de drôle. L'humour, l'autodérision, Lunch ne connait pas. Sa vie est un sujet sérieux, qu'elle ne saurait souiller par le rire, semble-t-il. Donc, Lunch exploite la répétition jusqu'à l’écœurement. Les chapitres se suivent et se ressemblent : drogue, baise, violence gratuite, crétineries diverses (fascination pour les tueurs en série, par exemple). Des chapitres entiers consacrés à la baise, des descriptions cliniques bien barbantes du menu des coïts, détails divers. Scatologie, ondinisme, sadomasochisme, et même une évocation zoophile pour que le catalogue soit bien complet et qu'aucune supposée transgression ne soit oubliée.
Dans un chapitre, Lunch cite Georges Bataille ; la différence entre elle et lui, c'est que lui, son penchant érotomane ne l'empêchait pas de réfléchir, et de porter un regard au-delà de son nombril, « pour ce que j'en sais ». Et là, j'utilise un procédé critique de Lunch, qui évoque brièvement Bukowski, dans un passage sans grand intérêt :
« (…) Un papy édenté s'approche en titubant. Son sixième sens le prévient que je suis une femelle, c'est tout ce qu'il a besoin de savoir. Timide, pathétique, il me demande poliment si j'aimerais danser. Mon sens aigu de la perversion me pousse à accepter. Il pose sa main poilue et moite sur ma hanche, et je lui touche légèrement l'épaule, humide d'une transpiration malsaine. Il chantonne doucement, des larmes silencieuses inondent les plis profonds et les crevasses de son visage. J'essaie de me convaincre qu'il s'agit de Bukowski. Cela ne nécessite pas un grand effort, pour ce que j'en sais, lui aussi a d'épais volumes de réflexions de vieillard triste, dans le centre d'hébergement qui lui sert de domicile, en face de Nathan's Hot Dogs. (...) » (p.48)
« Réflexions de vieillard triste » ; ainsi Lunch semble résumer l'œuvre de Bukowski. Je n'ai jamais senti de réelle tristesse dans les écrits de l'écrivain ; à mon sens, Bukowski était dans le constat désabusé de la vanité de toute chose, pas dans l'interprétation de ses sentiments et encore moins dans le pathos. Je pense que Bukowski ne prenait pas la vie suffisamment au sérieux pour s'épancher dans ses écrits sur sa propre peine. Ses souvenirs d'enfant battu ont-ils jamais été larmoyants ? Aurais-je mal lu son œuvre ? Lui, par exemple, était capable de prendre sa vie âpre à la légère, de parer toute chose sordide d'une pellicule de dérision qui nous évitait les complaintes déguisées dont nous bassine Lunch dans son livre. Il décrivait sa vie sans en faire un exemple à suivre, sans se célébrer. Mais plus encore, Bukowski jonchait ses textes de phrases lumineuses, dont les quelques mots suffisaient à lever le voile sur des vérités que la plupart des gens s'entêtent à refouler ou à nier.
Du côté de Paradoxia, la moisson est maigre, et le peu qu'on extrait semble couvert de moisissures. La seule citation à mon sens digne d'intérêt, digne de ce qu'on attend d'un regard féminin sur la vie et en l'occurrence sur les hommes, pour compléter ou contrebalancer une interprétation masculine plus foisonnante :
« (…) La plupart des hommes étaient trop demandeurs, désespérés, dépendants. Des petits garçons jamais capables de tuer la petite fille en eux. Ils quémandaient toujours de l'amour, de la compassion, une attention constante, une confirmation de leur virilité, une reconnaissance sexuelle, un culte phallique. Exactement comme des michetons, sauf qu'ils n'appréciaient pas de payer pour ça. Pourtant, ils se faisaient quand même avoir. D'une façon ou d'une autre. (...) » (p.75)
C'est maigre, comme je le disais. Lydia Lunch préfère s'entêter à mystifier autant qu'elle peut. C'est en tout cas l'impression qu'elle me donne, avec son ramassis de clichés de la déglingue, sa surenchère permanente dans le sordide, son goût pour le superlatif, bref, son sens involontaire mais aigu de la caricature. Une autre tendance qui, à mon sens, trahit la fausseté au moins partielle de son récit, c'est sa passion de l'épithète. Chez elle, les larmes sont silencieuses, les perceuses sont affolées, et je passe le reste, le livre en compte par dizaines. Son souci bourratif du détail aussi (et peut-être même plus encore), lorsque, par exemple, elle raconte l'histoire d'un de ses amants, le « nazi espagnol », qu'elle n'a bien sûr pas connu à l'époque des faits qu'elle rapporte, la déferlante de précisions invérifiables mais dont le seul but évident est de décupler l'aspect pathétique et odieux, toute cette épicerie de mauvais sentiments paraît tout bonnement pitoyable.
Plus pitoyable encore est la fin du livre, d'abord le supplice du spiritualisme « new age » et des délires épouvantablement grotesques et confus auxquels nous livre Lydia Lunch, pour finir sur un chapitre conclusif de bavardages et de thèses foutaiso-psychologiques totalement abscons et sans intérêt qui font finalement regretter l'obscénité purement gratuite et stérile, et la vacuité littéraire, sensitive, philosophique et intellectuelle des premiers chapitres.
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