Je ne suis plus sûr de rien. La lecture des trois nouvelles de Terre d'exil avait fait de Cesare Pavese l'un des auteurs qui répondaient le plus à ce que je souhaitais lire. J'avais vu dans ces textes, peut-être à tort, une part de vécu. Ces nouvelles me semblaient trop authentiques pour ne pas être, au moins en partie, autobiographiques.
Publié en Italie en 1941, Par chez toi est le premier roman de Pavese. En France, c'est sous le titre Par chez nous, dans une traduction de Nino Frank, qu'il fut pour la première fois révélé au public, en 1953. Les premières traductions françaises des livres de Pavese sont réputées exécrables, c'est donc dans la nouvelle traduction de Mario Fusco - proposée dans le volume Quarto Oeuvres - qu'il est plutôt conseillé de lire ce roman, et non dans le recueil Avant que le coq chante, toujours disponible dans la collection L'imaginaire Gallimard.
Par chez toi est le récit d'un citadin, rédigé à la première personne, qui sort de prison et se laisse embarquer à la campagne par son ancien compagnon de cellule, un type d'apparence niaise et mal dégrossie. On ne sait d'abord pas vraiment pour quelles raisons les deux hommes se sont retrouvés sous les verrous. Pour Berto, le narrateur, ça reste un mystère. Talino, c'est flou. Une histoire d'incendie criminel dans son village. Le mystère plane tout au long du récit, sur tous les plans, au point qu'on ne sait jamais trop où Pavese veut nous embarquer.
Son histoire, l'auteur italien l'a concoctée avec une idée derrière la tête. Il y a un message à saisir derrière tout ça. Derrière le premier niveau de lecture, derrière la petite histoire du Turinois prétentieux plongé dans un univers campagnard qu'il ne connait pas, il y a un second niveau de lecture. Mais les clés pour y accéder semblent un peu tarabiscotées. On devine que Pavese souhaite peindre une nature humaine sous des couleurs peu chaleureuses, mais sa tendance à trop intellectualiser sa démarche littéraire brouille les pistes. Si bien qu'un décodage est nécessaire, et rend le texte un peu obsolète.
Ainsi, dans sa correspondance dont certains extraits sont repris dans la préface de Martin Rueff, les intentions de Pavese sont un peu mises à jour. Mais une fois encore, on reste dans le flou, du moins : je reste dans le flou. Sans doute est-il nécessaire d'être un grand lettré, un éminent universitaire pour saisir toutes les finesses que Pavese a tenté de glisser dans son œuvre. Tout cela me semble en tout cas manquer singulièrement de simplicité.
Néanmoins, Par chez toi, dans son premier niveau de lecture, est un livre assez agréable à lire. C'est une fiction que le talent de Pavese rend par certains aspects étonnamment authentique. La campagne italienne des années 1930, à l'heure de la moisson, sous un soleil de plomb, l'érotisme de la relation entre Berto – le narrateur – et Gisella, l'une des sœurs de Talino, tous ces éléments sont remarquablement rendus.
Reste le fond, pour moi assez abscons. Et les moyens mis en oeuvre – la fiction – qui me laissent toujours un peu perplexe, malgré les qualités évoquées plus haut. On est dans l'évocation, l'émanation, la poésie, et si je suis sensible à de nombreux poèmes de Pavese dans Travailler fatigue, cette forme de poésie en prose, avec ses effets de moi assez incompris, ne me parle pas beaucoup. Parmi ces effets, il y a en premier lieu la concordance des temps martyrisée volontairement au nom de... de quoi d'ailleurs ? Pavese l'explique dans un courrier à un ami : il n'a « pas écrit en singeant Berto – le seul qui parle –, mais en traduisant ses ruminations, ses stupeurs, ses railleries etc., comme il les dirait lui s'il parlait italien. » Pavese aurait donc « uniquement violenté la grammaire quand cette violence indiquait une désinvolture, une involution de son esprit. » L'auteur n'a « pas voulu faire voir comment Berto parle en s'efforçant de parler italien (ce qui serait de l'impressionnisme dialectal), mais comment il parlerait si sa langue devenait – un jour de Pentecôte – italienne. » Et de préciser : « En somme, comme il pense. »
Ceci est sans doute très intéressant, et je ne voudrais pas faire semblant de ne pas comprendre, mais il y a dans tout ça, à mon goût, trop de conceptualisation. Comme je l'ai déjà écrit, Par chez toi n'est pas un roman désagréable à lire, mais il est simplement l'œuvre d'un esprit trop intellectuel pour moi. Le vécu, je ne vois que cela de véritablement parlant. Pour l'exemple, je lisais dernièrement La peau et les os, de Georges Hyvernaud. Nous ne sommes pas dans le concept mais dans l'expérience. Et elle est rendue d'une manière prodigieusement parlante. L'intérêt des mots est à mon sens plus à chercher dans ce qu'ils expriment primitivement que dans ce qu'ils sont supposés représenter derrière le mur de complexité dont on les a parés. C'est mon avis, rien que mon avis. Ma conception des choses, car c'en est une également, mine de rien...
Publié en Italie en 1941, Par chez toi est le premier roman de Pavese. En France, c'est sous le titre Par chez nous, dans une traduction de Nino Frank, qu'il fut pour la première fois révélé au public, en 1953. Les premières traductions françaises des livres de Pavese sont réputées exécrables, c'est donc dans la nouvelle traduction de Mario Fusco - proposée dans le volume Quarto Oeuvres - qu'il est plutôt conseillé de lire ce roman, et non dans le recueil Avant que le coq chante, toujours disponible dans la collection L'imaginaire Gallimard.
Par chez toi est le récit d'un citadin, rédigé à la première personne, qui sort de prison et se laisse embarquer à la campagne par son ancien compagnon de cellule, un type d'apparence niaise et mal dégrossie. On ne sait d'abord pas vraiment pour quelles raisons les deux hommes se sont retrouvés sous les verrous. Pour Berto, le narrateur, ça reste un mystère. Talino, c'est flou. Une histoire d'incendie criminel dans son village. Le mystère plane tout au long du récit, sur tous les plans, au point qu'on ne sait jamais trop où Pavese veut nous embarquer.
Son histoire, l'auteur italien l'a concoctée avec une idée derrière la tête. Il y a un message à saisir derrière tout ça. Derrière le premier niveau de lecture, derrière la petite histoire du Turinois prétentieux plongé dans un univers campagnard qu'il ne connait pas, il y a un second niveau de lecture. Mais les clés pour y accéder semblent un peu tarabiscotées. On devine que Pavese souhaite peindre une nature humaine sous des couleurs peu chaleureuses, mais sa tendance à trop intellectualiser sa démarche littéraire brouille les pistes. Si bien qu'un décodage est nécessaire, et rend le texte un peu obsolète.
Ainsi, dans sa correspondance dont certains extraits sont repris dans la préface de Martin Rueff, les intentions de Pavese sont un peu mises à jour. Mais une fois encore, on reste dans le flou, du moins : je reste dans le flou. Sans doute est-il nécessaire d'être un grand lettré, un éminent universitaire pour saisir toutes les finesses que Pavese a tenté de glisser dans son œuvre. Tout cela me semble en tout cas manquer singulièrement de simplicité.
Néanmoins, Par chez toi, dans son premier niveau de lecture, est un livre assez agréable à lire. C'est une fiction que le talent de Pavese rend par certains aspects étonnamment authentique. La campagne italienne des années 1930, à l'heure de la moisson, sous un soleil de plomb, l'érotisme de la relation entre Berto – le narrateur – et Gisella, l'une des sœurs de Talino, tous ces éléments sont remarquablement rendus.
Reste le fond, pour moi assez abscons. Et les moyens mis en oeuvre – la fiction – qui me laissent toujours un peu perplexe, malgré les qualités évoquées plus haut. On est dans l'évocation, l'émanation, la poésie, et si je suis sensible à de nombreux poèmes de Pavese dans Travailler fatigue, cette forme de poésie en prose, avec ses effets de moi assez incompris, ne me parle pas beaucoup. Parmi ces effets, il y a en premier lieu la concordance des temps martyrisée volontairement au nom de... de quoi d'ailleurs ? Pavese l'explique dans un courrier à un ami : il n'a « pas écrit en singeant Berto – le seul qui parle –, mais en traduisant ses ruminations, ses stupeurs, ses railleries etc., comme il les dirait lui s'il parlait italien. » Pavese aurait donc « uniquement violenté la grammaire quand cette violence indiquait une désinvolture, une involution de son esprit. » L'auteur n'a « pas voulu faire voir comment Berto parle en s'efforçant de parler italien (ce qui serait de l'impressionnisme dialectal), mais comment il parlerait si sa langue devenait – un jour de Pentecôte – italienne. » Et de préciser : « En somme, comme il pense. »
Ceci est sans doute très intéressant, et je ne voudrais pas faire semblant de ne pas comprendre, mais il y a dans tout ça, à mon goût, trop de conceptualisation. Comme je l'ai déjà écrit, Par chez toi n'est pas un roman désagréable à lire, mais il est simplement l'œuvre d'un esprit trop intellectuel pour moi. Le vécu, je ne vois que cela de véritablement parlant. Pour l'exemple, je lisais dernièrement La peau et les os, de Georges Hyvernaud. Nous ne sommes pas dans le concept mais dans l'expérience. Et elle est rendue d'une manière prodigieusement parlante. L'intérêt des mots est à mon sens plus à chercher dans ce qu'ils expriment primitivement que dans ce qu'ils sont supposés représenter derrière le mur de complexité dont on les a parés. C'est mon avis, rien que mon avis. Ma conception des choses, car c'en est une également, mine de rien...
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