Bagatelles pour un massacre, ce livre maudit, de Louis-Ferdinand Céline, le premier d'une série de trois ouvrages qui firent passer Céline du génie au paria. Livre plus ou moins renié ensuite par Céline lui-même, qui en interdit la réédition, et dont les droits sont détenus depuis sa mort par sa veuve aujourd'hui centenaire qui respecte scrupuleusement les volontés de son mari depuis 1961 (on peut se demander ce qu'il adviendra de ces volontés après sa mort).
A défaut de juger sur pièce – même si le livre est accessible sur internet, que des rééditions illicites existent et que les exemplaires originaux sont toujours trouvables chez certains bouquinistes à condition d'y mettre le prix – donc, à défaut de juger sur pièce, André Derval propose avec ce recueil de critiques de comprendre – ou de tenter de le faire – l'accueil que reçut le livre en 1938, et par la température prise à travers ces critiques, de tenter de replacer le livre dans le contexte de son époque.
Cette époque, c'est celle de l'instabilité politique et économique, et de la menace d'une nouvelle guerre avec l'Allemagne.
De son côté, Céline a vécu des revers après l'accueil chaleureux de Voyage au bout de la nuit en 1932. Avec le texte anti-communiste Mea Culpa qu'il publia à son retour d'Union Soviétique, il s'est mis à dos les sympathisants de gauche qui avaient vu en lui, un peu hâtivement, un noble représentant. Son second roman, Mort à crédit, a été froidement reçu par la critique, et Céline, comme il l'expose dans Bagatelles, s'est vu refuser un scénario de ballet sur lequel il semblait beaucoup miser. Comme tout individu, son orgueil est ébranlé. Il cherche des responsables à ses malheurs et les trouve. Mais surtout, il cherche à relancer sa carrière, et pour cela, le scandale semble tout indiqué.
Ceci est la thèse de plusieurs de ses détracteurs. De ceux qui, en tout cas, cherchent à comprendre et jugent Céline en mettant en sourdine les passions qui en aveuglent bien d'autres.
Jusque là, je penchais plutôt pour la thèse pacifiste d'un Céline préférant abdiquer devant l'ennemi Allemand plutôt que revivre les atrocités d'une guerre qu'il n'a que trop bien connue vingt ans auparavant. C'est aussi la justification que donnait l'écrivain après la guerre, dans ses livres et les interviews qu'il accorda. J'avoue que la thèse de la blessure d'ego et de la volonté de ne pas être enterré trop vite, ou plus simplement de dire une dernière fois « merde » à ses congénères me semble désormais plus convaincante. Gide, dans une critique sélectionnée dans cette anthologie, mise sur la bouffonnerie, il reste séduit par le style « célinien » et se refuse d'accorder crédit aux propos délirants tenus par son auteur. Et il est vrai que, citations à l'appui, on a peine à prendre au sérieux le ramassis d'invectives sommaires, de statistiques fantasques et grossièrement falsifiés (comme l'ont démontré certains critiques), de reproductions mot à mot de textes de propagande dont l'absence manifeste de sérieux confine à la drôlerie, drôlerie qu'exploite à l'envie l'écrivain dans ses affirmations les plus absurdement péremptoires. Et si, comme le suggérait un critique, Bagatelles pour un massacre n'était pas un pamphlet, mais une « énorme farce ubuesque » ?
De la part d'un être certes illuminé mais d'une intelligence incontestable, d'un écrivain ayant révolutionné la littérature de son temps, cette compilation d'approximations ne semble pouvoir être motivée par autre chose que le désir de se payer la tête de toute une engeance qu'il abhorre, et qu'il désigne par le vocable « Juif » comme il aurait pu l'appeler « intellectuel », « élite » ou plus globalement, « humain » si ces termes avaient revêtu le même parfum de scandale. Le simple fait qu'il ait renié ces livres par la suite, sans négliger la prégnance des ennuis que ces pamphlets lui ont apportés, peut aussi représenter un aveu de la part de son auteur, celui de reconnaître la faiblesse de ces livres, en les distinguant, ou plus exactement en les amputant du reste de son œuvre.
Reste qu'à côté de cela, de cette haine d'apparence préfabriquée pour le besoin du scandale, reste que Bagatelles pour un massacre n'est peut-être pas un livre si négligé qu'il ne paraît. Nombreux sont en effet les critiques – qui se refusent parfois à commenter le propos antisémite du livre – louant les qualités littéraires de l'ouvrage, qu'ils voient comme une évolution dans le style célinien.
Ce recueil de critiques, donc, apparaît intéressant à plusieurs égards. Il expose d'abord des facettes variées de l'opinion de l'époque, et par delà cette diversité, met l'accent sur une liberté d'expression qui n'existe plus aujourd'hui que sous une forme très artificielle et ciblée. On n'hésitait pas, en 1938 – soit trente ans avant que l'on interdise d'interdire – à aborder tous les thèmes, on n'avait pas non plus honte ou peur de ses idées. Certaines peuvent sembler abjectes, excessives, mal dégrossies, la plupart sous-tendues par des idéologies de toute nature ; il y avait aussi, déjà, la tentation de corriger le propos de confrères aux idées opposées, mais cette bien-pensance que certains dénonçaient déjà, ne bridait pas encore les esprits, n'enrayait pas encore leur capacité à réfléchir. L'effet que l'on ressent à la lecture de ces critiques, c'est que le Français à cette époque savait encore penser. La teneur des propos, quelles que soient les opinions défendues, est la plupart du temps d'une richesse qui outrepasse les obédiences, les idéologies ou les a priori de tout ordre. Le fait de ne rien s'interdire sous prétexte de moralité, de croyances ou de prévention, ce fait jouait, certainement, un grand rôle dans cette capacité à réfléchir des contemporains de Céline il y a 70 ans. On pensait froidement – du moins certains le faisaient – et il s'en dégageait du coup des idées.
N'en déplaise à Monsieur Derval, qui dans sa longue introduction, se flagelle à l'avance pour avoir reproduit des textes qu'il juge intolérables, sa tolérance à « l'intolérable » donne à son livre une richesse qui sert même finalement son point de vue personnel. Dans une certaine mesure en tout cas, car il n'est, je pense, pas question de faire un énième jugement moral de Céline. Simplement de tenter de comprendre un cheminement, une démarche, la nature d'un homme qui n'est pas différente de celle de tout un chacun en certains points fondamentaux, et de ce point de vue, ce livre apporte quelques éclaircissements.
A défaut de juger sur pièce – même si le livre est accessible sur internet, que des rééditions illicites existent et que les exemplaires originaux sont toujours trouvables chez certains bouquinistes à condition d'y mettre le prix – donc, à défaut de juger sur pièce, André Derval propose avec ce recueil de critiques de comprendre – ou de tenter de le faire – l'accueil que reçut le livre en 1938, et par la température prise à travers ces critiques, de tenter de replacer le livre dans le contexte de son époque.
Cette époque, c'est celle de l'instabilité politique et économique, et de la menace d'une nouvelle guerre avec l'Allemagne.
De son côté, Céline a vécu des revers après l'accueil chaleureux de Voyage au bout de la nuit en 1932. Avec le texte anti-communiste Mea Culpa qu'il publia à son retour d'Union Soviétique, il s'est mis à dos les sympathisants de gauche qui avaient vu en lui, un peu hâtivement, un noble représentant. Son second roman, Mort à crédit, a été froidement reçu par la critique, et Céline, comme il l'expose dans Bagatelles, s'est vu refuser un scénario de ballet sur lequel il semblait beaucoup miser. Comme tout individu, son orgueil est ébranlé. Il cherche des responsables à ses malheurs et les trouve. Mais surtout, il cherche à relancer sa carrière, et pour cela, le scandale semble tout indiqué.
Ceci est la thèse de plusieurs de ses détracteurs. De ceux qui, en tout cas, cherchent à comprendre et jugent Céline en mettant en sourdine les passions qui en aveuglent bien d'autres.
Jusque là, je penchais plutôt pour la thèse pacifiste d'un Céline préférant abdiquer devant l'ennemi Allemand plutôt que revivre les atrocités d'une guerre qu'il n'a que trop bien connue vingt ans auparavant. C'est aussi la justification que donnait l'écrivain après la guerre, dans ses livres et les interviews qu'il accorda. J'avoue que la thèse de la blessure d'ego et de la volonté de ne pas être enterré trop vite, ou plus simplement de dire une dernière fois « merde » à ses congénères me semble désormais plus convaincante. Gide, dans une critique sélectionnée dans cette anthologie, mise sur la bouffonnerie, il reste séduit par le style « célinien » et se refuse d'accorder crédit aux propos délirants tenus par son auteur. Et il est vrai que, citations à l'appui, on a peine à prendre au sérieux le ramassis d'invectives sommaires, de statistiques fantasques et grossièrement falsifiés (comme l'ont démontré certains critiques), de reproductions mot à mot de textes de propagande dont l'absence manifeste de sérieux confine à la drôlerie, drôlerie qu'exploite à l'envie l'écrivain dans ses affirmations les plus absurdement péremptoires. Et si, comme le suggérait un critique, Bagatelles pour un massacre n'était pas un pamphlet, mais une « énorme farce ubuesque » ?
De la part d'un être certes illuminé mais d'une intelligence incontestable, d'un écrivain ayant révolutionné la littérature de son temps, cette compilation d'approximations ne semble pouvoir être motivée par autre chose que le désir de se payer la tête de toute une engeance qu'il abhorre, et qu'il désigne par le vocable « Juif » comme il aurait pu l'appeler « intellectuel », « élite » ou plus globalement, « humain » si ces termes avaient revêtu le même parfum de scandale. Le simple fait qu'il ait renié ces livres par la suite, sans négliger la prégnance des ennuis que ces pamphlets lui ont apportés, peut aussi représenter un aveu de la part de son auteur, celui de reconnaître la faiblesse de ces livres, en les distinguant, ou plus exactement en les amputant du reste de son œuvre.
Reste qu'à côté de cela, de cette haine d'apparence préfabriquée pour le besoin du scandale, reste que Bagatelles pour un massacre n'est peut-être pas un livre si négligé qu'il ne paraît. Nombreux sont en effet les critiques – qui se refusent parfois à commenter le propos antisémite du livre – louant les qualités littéraires de l'ouvrage, qu'ils voient comme une évolution dans le style célinien.
Ce recueil de critiques, donc, apparaît intéressant à plusieurs égards. Il expose d'abord des facettes variées de l'opinion de l'époque, et par delà cette diversité, met l'accent sur une liberté d'expression qui n'existe plus aujourd'hui que sous une forme très artificielle et ciblée. On n'hésitait pas, en 1938 – soit trente ans avant que l'on interdise d'interdire – à aborder tous les thèmes, on n'avait pas non plus honte ou peur de ses idées. Certaines peuvent sembler abjectes, excessives, mal dégrossies, la plupart sous-tendues par des idéologies de toute nature ; il y avait aussi, déjà, la tentation de corriger le propos de confrères aux idées opposées, mais cette bien-pensance que certains dénonçaient déjà, ne bridait pas encore les esprits, n'enrayait pas encore leur capacité à réfléchir. L'effet que l'on ressent à la lecture de ces critiques, c'est que le Français à cette époque savait encore penser. La teneur des propos, quelles que soient les opinions défendues, est la plupart du temps d'une richesse qui outrepasse les obédiences, les idéologies ou les a priori de tout ordre. Le fait de ne rien s'interdire sous prétexte de moralité, de croyances ou de prévention, ce fait jouait, certainement, un grand rôle dans cette capacité à réfléchir des contemporains de Céline il y a 70 ans. On pensait froidement – du moins certains le faisaient – et il s'en dégageait du coup des idées.
N'en déplaise à Monsieur Derval, qui dans sa longue introduction, se flagelle à l'avance pour avoir reproduit des textes qu'il juge intolérables, sa tolérance à « l'intolérable » donne à son livre une richesse qui sert même finalement son point de vue personnel. Dans une certaine mesure en tout cas, car il n'est, je pense, pas question de faire un énième jugement moral de Céline. Simplement de tenter de comprendre un cheminement, une démarche, la nature d'un homme qui n'est pas différente de celle de tout un chacun en certains points fondamentaux, et de ce point de vue, ce livre apporte quelques éclaircissements.
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