Coup d'essai de Louis Calaferte en 1952, ce premier roman est supposé n'en être pas un. Comprendre : il ne s'agirait pas d'une affaire d'imagination, mais de vécu. On peut légitimement employer le conditionnel en le rapportant, car ce livre, dans ce souci d'authenticité, fait à mon sens largement fausse route.
J'attends d'une autobiographie (ou d'un roman autobiographique), avant toute chose, qu'elle sonne juste. Or, Requiem des innocents, bien trop souvent, met mon doute en éveil. Toute cette histoire sonne trop arrangée, la galerie de portraits de personnages, les péripéties du jeune Calaferte elles-mêmes, les liens entre les différents personnages, tout cela ressemble à une œuvre de cinéma, avec ses codes, ses clichés. Ici, on retrouve le lyrisme populo cher à un certain septième art, Calaferte ne parvient pas à s'en défaire, il nous sert ses vérités d'un ton parfois si sentencieux qu'il en paraît grotesque.
« (…) Pour toucher, pour voler un peu de vérité humaine, il faut approcher la rue. L'homme se fait par l'homme. Il faut plonger avec les hommes de la peine, dans la peine, dans la boue fétide de leur condition pour émerger ensuite bien vivant, bien lourd de détresse, de dégoût, de misère et de joie. Avec les hommes de la peine, il faut vivre dans le coude à coude. Mélanger aux leurs sa sueur, les suivre dans leurs manifestations grandioses et bêtes. Parler leur langue. Toucher leurs plaies des cinq doigts, boire à leurs verres, pleurer leurs larmes, faire gémir leurs femmes, partager leurs pauvres espoirs et leurs petits bonheurs. (...) » (p.26-27)
Calaferte, à plusieurs moments, cherche aussi manifestement la larme de son lecteur, il parade, joue ici à l'homme blessé (la partie où il s'adresse à sa mère puis à son père – pages 89-90 – est bien écœurante de pathos, et par conséquent, bien creuse), là au camarade attendri et charitable (il va même jusqu'à singer le Christ, pages 65-66) , et sur la fin, nous livre un récit répugnant du meurtre qu'il aurait commis d'un pauvre chien errant – sans qu'on sache très bien, une fois encore, s'il s'agit de vécu ou d'imaginé – tout en se payant l'indécence de feindre l'attendrissement devant le sort du pauvre animal, de parer son ignominie d'un fond de générosité, juste pour la parade, une fois encore, en psychologisant niaisement son abjection.
Dans ce meurtre comme dans la plupart des sujets, Calaferte tente de démontrer, d'interpréter, de théoriser les faits, les idées, tout cela ne paraît généralement pas très clair, le propos est noyé dans un méli-mélo de phrases se voulant littéraires, qu'on sent servies un peu comme les cacahuètes au moment de l'apéritif, parce que c'est l'usage, et que l'usage, ici, en littérature, est précisément de faire des phrases, des phrases d'apparence spirituelle, profonde, des phrases psychologiques, intellectuelles ? Ridicules, lourdes et dérisoires, de mon point de vue.
Finalement, à tenter de démêler le vrai du faux, on finit par tout mettre dans un même panier, tout finit par apparaître très largement falsifié, détourné, vicié par un esprit trop soucieux de son image et trop entravé par les belles idées des autres. Les quelques phrases qu'on pourrait juger intéressantes ici et là perdent de leur force, elles semblent avoir atterri là par erreur. L'histoire d'amitié entre Calaferte et Lobe – son directeur d'école, d'un abord assez intéressant, paraît elle aussi, finalement, bien insignifiante. C'est l'adjectif qui résumera ce livre, pourtant promis authentique et puissant. Ces choses-là ne se décrètent pas, et pour trouver un peu d'authenticité, il faut d'abord se refuser à toute interprétation, à toute tentation d'exagérer, il faut s'en tenir aux faits, chose dont, manifestement, était incapable Louis Calaferte, l'auteur de « La mécanique des femmes », ce livre qui m'avait assommé, jadis, en moins de dix pages, quand tant d'autres s'émerveillaient devant cette « pénétrante analyse de la nature des femmes ».
« (…) On se bat beaucoup chez les pauvres. Il faut bien passer sur quelqu'un sa fureur, sa rage d'être au monde et d'y rester. (...) » (p.16)
« (…) Je pense que rien au monde n'est plus féroce, vicieux, criminel qu'un enfant. (...) » (p.16)
« (…) je compris confusément qu'on ne pouvait combler un homme que dans les limites de ses désirs. Lui apporter de bonnes paroles, l'aiguiller sur les chemins de la droiture quand son rêve est de piller et de rançonner n'est pas une consolation. On ne peut rien faire d'autre pour un homme que lui donner à manger et à boire, quand il a faim et soif. Donner le pain à celui qui marche l'estomac creux, donner le vin à celui qui veut s'enivrer ; et se taire. Il n'y a rien à dire. Seule la vie sait comment elle conduira tel ou tel homme. (…) » (p.37)
« (…) Qu'on ne vienne pas me dire que la faim incite à la révolte : ce n'est pas vrai. Ça vous ramollit, au contraire. On a le sourire obséquieux pendu à la bouche. Toute l'existence se centre d'un coup sur un repas complet. Ça tourne à l'obsession. On y perd dignité, honneur et orgueil. (…) » (p.97)
J'attends d'une autobiographie (ou d'un roman autobiographique), avant toute chose, qu'elle sonne juste. Or, Requiem des innocents, bien trop souvent, met mon doute en éveil. Toute cette histoire sonne trop arrangée, la galerie de portraits de personnages, les péripéties du jeune Calaferte elles-mêmes, les liens entre les différents personnages, tout cela ressemble à une œuvre de cinéma, avec ses codes, ses clichés. Ici, on retrouve le lyrisme populo cher à un certain septième art, Calaferte ne parvient pas à s'en défaire, il nous sert ses vérités d'un ton parfois si sentencieux qu'il en paraît grotesque.
« (…) Pour toucher, pour voler un peu de vérité humaine, il faut approcher la rue. L'homme se fait par l'homme. Il faut plonger avec les hommes de la peine, dans la peine, dans la boue fétide de leur condition pour émerger ensuite bien vivant, bien lourd de détresse, de dégoût, de misère et de joie. Avec les hommes de la peine, il faut vivre dans le coude à coude. Mélanger aux leurs sa sueur, les suivre dans leurs manifestations grandioses et bêtes. Parler leur langue. Toucher leurs plaies des cinq doigts, boire à leurs verres, pleurer leurs larmes, faire gémir leurs femmes, partager leurs pauvres espoirs et leurs petits bonheurs. (...) » (p.26-27)
Calaferte, à plusieurs moments, cherche aussi manifestement la larme de son lecteur, il parade, joue ici à l'homme blessé (la partie où il s'adresse à sa mère puis à son père – pages 89-90 – est bien écœurante de pathos, et par conséquent, bien creuse), là au camarade attendri et charitable (il va même jusqu'à singer le Christ, pages 65-66) , et sur la fin, nous livre un récit répugnant du meurtre qu'il aurait commis d'un pauvre chien errant – sans qu'on sache très bien, une fois encore, s'il s'agit de vécu ou d'imaginé – tout en se payant l'indécence de feindre l'attendrissement devant le sort du pauvre animal, de parer son ignominie d'un fond de générosité, juste pour la parade, une fois encore, en psychologisant niaisement son abjection.
Dans ce meurtre comme dans la plupart des sujets, Calaferte tente de démontrer, d'interpréter, de théoriser les faits, les idées, tout cela ne paraît généralement pas très clair, le propos est noyé dans un méli-mélo de phrases se voulant littéraires, qu'on sent servies un peu comme les cacahuètes au moment de l'apéritif, parce que c'est l'usage, et que l'usage, ici, en littérature, est précisément de faire des phrases, des phrases d'apparence spirituelle, profonde, des phrases psychologiques, intellectuelles ? Ridicules, lourdes et dérisoires, de mon point de vue.
Finalement, à tenter de démêler le vrai du faux, on finit par tout mettre dans un même panier, tout finit par apparaître très largement falsifié, détourné, vicié par un esprit trop soucieux de son image et trop entravé par les belles idées des autres. Les quelques phrases qu'on pourrait juger intéressantes ici et là perdent de leur force, elles semblent avoir atterri là par erreur. L'histoire d'amitié entre Calaferte et Lobe – son directeur d'école, d'un abord assez intéressant, paraît elle aussi, finalement, bien insignifiante. C'est l'adjectif qui résumera ce livre, pourtant promis authentique et puissant. Ces choses-là ne se décrètent pas, et pour trouver un peu d'authenticité, il faut d'abord se refuser à toute interprétation, à toute tentation d'exagérer, il faut s'en tenir aux faits, chose dont, manifestement, était incapable Louis Calaferte, l'auteur de « La mécanique des femmes », ce livre qui m'avait assommé, jadis, en moins de dix pages, quand tant d'autres s'émerveillaient devant cette « pénétrante analyse de la nature des femmes ».
« (…) On se bat beaucoup chez les pauvres. Il faut bien passer sur quelqu'un sa fureur, sa rage d'être au monde et d'y rester. (...) » (p.16)
« (…) Je pense que rien au monde n'est plus féroce, vicieux, criminel qu'un enfant. (...) » (p.16)
« (…) je compris confusément qu'on ne pouvait combler un homme que dans les limites de ses désirs. Lui apporter de bonnes paroles, l'aiguiller sur les chemins de la droiture quand son rêve est de piller et de rançonner n'est pas une consolation. On ne peut rien faire d'autre pour un homme que lui donner à manger et à boire, quand il a faim et soif. Donner le pain à celui qui marche l'estomac creux, donner le vin à celui qui veut s'enivrer ; et se taire. Il n'y a rien à dire. Seule la vie sait comment elle conduira tel ou tel homme. (…) » (p.37)
« (…) Qu'on ne vienne pas me dire que la faim incite à la révolte : ce n'est pas vrai. Ça vous ramollit, au contraire. On a le sourire obséquieux pendu à la bouche. Toute l'existence se centre d'un coup sur un repas complet. Ça tourne à l'obsession. On y perd dignité, honneur et orgueil. (…) » (p.97)