« Elle n'était pas du pays. Y ayant été assignée à résidence par les machinations aveugles de la destinée et par celles, plus aveugles encore, du conseil académique du comté, jusqu'à son dernier jour elle devait rester étrangère à cette région de pins, de collines ravinées par la pluie et de basses terres alluviales, alors qu'elle aurait dû vivre dans un milieu voué à une décadence légèrement teintée de sentimentalisme, où elle aurait évolué à l'aise entre des thés rituels et un certain nombre d'activités aussi délicates qu'inutiles.
Cette petite femme aux grands yeux noirs avait trouvé dans la cour physiquement très fruste que lui avait faite Joe Bunden le merveilleux de pacotille à l'aide duquel elle avait contenu le feu de ses inhibitions presbytériennes. Pendant les dix premiers mois de son mariage, qui furent une époque de travail manuel sans précédent pour elle, ses illusions refusèrent de céder : c'est sa vie mentale, entièrement projetée sur l'enfant qu'elle attendait, qui lui permit de survivre. Elle avait espéré des jumeaux qu'elle aurait appelés Roméo et Juliette, mais seule Juliette devait faire l'objet de ses affections réprimées. Son mari pardonna le choix de ce prénom en éclatant d'un rire tolérant. La paternité ne pesait guère sur lui : comme les mâles de sa race, il tenait l'inévitable arrivée des enfants pour l'un des inconvénients inhérents au mariage, comme le risque de se mouiller les pieds quand on pêche. (...) »
William Faulkner, incipit de la nouvelle intitulée Adolescence, tirée du recueil Idylle au désert et autres nouvelles, composé de textes écrits entre 1925 et 1954. Traduction de Michel Gresset pour les éditions Gallimard (1985).
ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
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Terrible ces premières lignes ! ça me donne très envie de découvrir Faulkner. Il sait écrire ce type, dis-donc !
Commentaire n°1 posté par sébastien le 04/10/2010 à 17h07