30 septembre 2010

Premières lignes : Par chez toi de CESARE PAVESE

« Dès la sortie, il a commencé à m'embobiner. Je lui avais dit que ce n'était pas la première fois que je sortais de là et qu'un homme comme lui devait essayer ça aussi, mais voilà qu'il se met à rire en faisant des manières, comme si on était un garçon et une fille dans un pré, et il se colle son baluchon sous le bras, et il me dit : « Faudrait pas avoir le père que j'ai. » Je m'attendais bien à ce qu'il se mette à rire, parce qu'un lourdaud comme lui ne sort pas de là-dedans sans faire le guignol, mais il riait avec malice, comme on fait quand on veut dire quelque chose. « Ce soir, tu mangeras du poulet avec ton père, je lui dis, en regardant la rue. La première fois qu'on sort de prison, chez toi, ils te font une fête comme pour une noce. » Il me suivait et il me collait comme si la charrette du glacier qui passait à toute vitesse menaçait les deux piétons que nous étions. Il n'avait jamais traversé une avenue, ça se voyait, ou bien il était déjà en train de m'embobiner. Je me rappelle que ni lui ni moi, on ne s'est retournés pour regarder la prison. Cela faisait un drôle d'effet de voir les arbres épais de l'avenue, et il faisait aussi très chaud, j'étais en nage, à cause de ma cravate trop serrée. Il faisait chaud comme là-dedans, et à un moment donné, nous avons tourné en plein soleil. (...) »
 
Cesare Pavese, Par chez toi (1941) ; paru en France pour la première fois en 1953 sous le titre Par chez nous dans Avant que le coq chante ; nouvelle traduction intégrale de Mario Fusco pour le volume Oeuvres (2008) regroupant tous les livres publiés du vivant de l'auteur, dans la collection Quarto Gallimard.

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