Les éditions 13e Note semblent décidées à enrayer la pénurie d'ouvrages de Dan Fante constatée ces dix dernières années dans les librairies hexagonales. Depuis La tête hors de l'eau (qui reste à mon avis le roman de référence de Dan Fante), aucun éditeur ne semblait plus s'intéresser au fils de John. La maison d'édition Christian Bourgois, qui avait lancé Dan Fante en France - s'en tenait à un mutisme qui ne laissait rien supposer de bon quant au succès de l'écrivain américain, mais les faits semblent infirmer cette analyse, car depuis l'an dernier et la sortie du très recommandable recueil de nouvelles Régime sec, 13e Note parait avoir fait de Fante la locomotive de son catalogue (un nouveau bébé est d'ailleurs attendu en ce mois de septembre : De l'alcool dur et du génie).
Un catalogue dont l'orientation me laisse un peu dubitatif, avec des auteurs comme Mark Safranko ou Tony O'Neill, des amis de Fante, et des écrivains qu'il dit admirer, mais des écrivains qui me semblent, pour le peu que j'en ai lu à la dérobée dans les librairies, des écrivains qui me semblent donc un peu trop soucieux de leur image sulfureuse, au détriment d'une sincérité que je cherche désormais partout, marqué que je suis par les exemples de Bukowski ou, dans un autre genre - mais pas si différent au fond - Léautaud.
Dan Fante, lui-même, au fil des découvertes, n'est pas sans me poser problème. Si la sincérité fait globalement partie de sa démarche, à certains moments, dans ses poèmes ou dans ses romans, des détails laissent place à la perplexité. N'en rajoute-t-il pas un peu parfois ? Certainement, mais au fond, comme tout le monde, et même les plus insoupçonnables. Léautaud lui-même considérait qu'écrire revenait toujours à fausser plus ou moins. Mais chez les auteurs les plus doués, on ne remarque guère ces arrangements avec la vérité. Chez Dan Fante, l'affaire reste anecdotique, ce roman, comme les précédents, expose ses difficultés d'adaptation aux règles sociales, qui puisent leurs origines dans l'alcool, dans ses excès comme dans son manque. Difficultés rencontrées au travail, dans sa sexualité chaotique, bref, dans toutes ses relations avec les autres, et tout ce mal-être ne sonne pas faux dans ses mots.
Dans ce livre, Dan Fante revient sur la période où il était chauffeur de maître à Los Angeles. L'occasion de balancer quelques vacheries sur le monde hollywoodien, de régler les comptes de son père dont l'expérience de scénariste n'a pas été très heureuse ? Non, plutôt de dénoncer la vacuité d'un monde dont la raison d'être est de tromper tout un chacun : les spectateurs bien sûr, mais aussi quiconque se frotte plus ou moins à leur business, comme Fante dans ce récit. A trimballer les "stars", Fante est aux premières loges pour subir leurs caprices. Parfois, on reconnait aisément les célébrités visées, comme Jennifer Lopez (rebaptisée Lopisse dans le récit) en hystérique saccageuse de limousine.
Ce récit est aussi le commencement d'une fin pour Dan Fante. La fin d'une période chaotique et floue, à se chercher. C'est le récit de l'alcoolique en rédemption qui trouve une certaine sérénité dans l'écriture. Mais c'est aussi un roman qui parait atteindre les limites de son inspiration autobiographique. Quand Bukowski était capable de resservir la même histoire présentée un peu différemment sans lasser, Dan Fante paraît un peu tourner en rond. La différence tient peut-être dans l'art qu'avait Bukowski à rendre ses récits universels, à les enrichir d'aphorismes cinglants et autres réflexions ayant valeur de vérités brutes, évidentes. Dan Fante, lui, s'en tient aux faits. D'une certaine manière, on pourrait lui reprocher de ne pas suffisamment aller au bout des choses, et en même temps, l'écrivain captive, par le rythme de ses phrases, par son talent indéniable pour raconter une histoire, la sienne, dans un flot d'émotion constant, une émotion qui ne dit pas son nom, qui ne parade pas, mais qui heurte. En ce sens, il rappelle un certain John.
ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
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salut ! ton site est très intéressant et bien écrit, je suis également fanatique de littérature américaine, et notamment de John et Dan Fante.
Mais quand tu dis en parlant de Dan "N'en rajoute-t-il pas un peu parfois ?", je te trouve un tantinet naïf. Bien sûr qu'il en rajoute ! Il ne fait que ça, même s'il s'inspire de sa vie. Ce sont des romans !
Dan Fante va publier ses Mémoires chez 13e Note. Un bon moyen de se faire une meilleure idée de son oeuvre.
Bonne continuation à toi !
Commentaire n°1 posté par sosthène le 30/01/2011 à 20h26
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Bonjour sosthene et merci d'être passé(e) par là.
Qu'il en rajoute et s'arrange avec les évènements dont il parle, ça ne me dérange pas, là où ça me gène davantage, c'est sur le plan de la sincérité. S'il trafique son ressenti sur les choses, s'il essaie de se faire passer pour ce qu'il n'est pas, sa démarche littéraire devient à mes yeux sans intérêt. Je ne pense pas qu'il en soit au point de tout falsifier comme c'est l'usage dans la littérature et surtout la littérature contemporaine, mais je crois qu'il y avait moins de posture chez son père, qui pourtant avait un ego très encombrant.
Bref, Dan Fante reste quand même pour moi l'un des rares auteurs lisibles de notre époque, et je lirai sans doute ses mémoires, en espérant qu'il ne truque pas trop son histoire, parce que pour le coup, ça deviendrait très fâcheux, dans un récit 100% autobiographique.
Comme l'ont écrit un paquet d'écrivains, la première tentation quand on écrit, c'est mentir. Pour moi, les meilleurs sont ceux qui mentent le moins.
Commentaire n°2 posté par Hank le 03/02/2011 à 13h48