Aujourd'hui se tenait la dernière journée du festival America, à Vincennes. Depuis jeudi, les manifestations se multipliaient, dans les librairies parisiennes (signatures, lectures...), puis sur les sites de la municipalité de Vincennes. Des écrivains d'Amérique du Nord, du Mexique et des Caraïbes. A boire et à manger : des auteurs de polars, des cubains en exil, des rock stars américaines (c'est l'impression que m'a fait Bret Easton Ellis en déboulant sur le tapis rouge des marches de la mairie où il s'en allait participer à un débat), des businessmen bien nourris au teint rosi (Douglas Kennedy, un autre genre de vedette américaine, croisé furtivement aussi), des pros de la rebel attitude et de la provocation sur commande, des amoureux transis, et puis aussi quelques écrivains.
En réalité, je n'en avais repéré qu'un : Dan Fante. Aujourd'hui, il était convié à trois débats, sur des thèmes qu'il connait bien : Los Angeles pour commencer, son père et sa vie d'écrivain pour finir. Et puis il y avait aussi la projection du documentaire Made In Fante, commercialisé depuis quelques années sur internet avec des moyens un peu dérisoires. A vrai dire, c'est surtout pour ce film que je me déplaçais. Je n'attendais rien d'une rencontre avec l'écrivain. J'avais en mémoire les enseignements de Bukowski, qui considérait que ce qu'un écrivain a de meilleur à offrir, et même les seules choses qu'il peut offrir, ses livres le révèlent. Une fois de plus, la voix de Bukowski était celle de la sagesse. Aujourd'hui plus encore qu'à son époque, la promotion a tout perverti. Il n'y a plus de spontanéité dans les propos, la mécanique est si abondamment huilée que l'intérêt de l'exercice vous file entre les pattes. Résultat : on s'ennuie très vite.
Dan Fante n'est pas un mauvais type, j'en suis sûr. C'est même un type bien, je pense. Et un des rares bons écrivains encore vivants, j'en suis convaincu. Mais à force de répéter un numéro d'année en année, en bon américain, il fait son show. Il faut dire que les questions qu'on lui pose sont toujours les mêmes, il les connait par coeur, et quand bien même elles se renouvelleraient, rien ne prête au naturel et à la profondeur dans une rencontre avec des lecteurs. Il y a ce jeu de la séduction insupportable : il faut soigner son image. Pourquoi ? Pour vendre bien sûr. Est-ce condamnable ? Non, c'est inéluctable. Ce qui est regrettable, c'est qu'un livre ne se suffise plus à lui-même. Qu'il faille toujours ajouter de l'artifice, du spectacle, une rencontre entre individus qui n'ont rien à se dire, qui ne partagent finalement pas grand-chose même s'ils cherchent à se convaincre du contraire. Car en voyant le comportement des lecteurs, je me dis qu'aucun d'entre nous n'a probablement saisi ce que Dan Fante a réellement voulu faire passer dans ses livres. Certains ont été attirés par sa vie sulfureuse, d'autres par sa souffrance, d'autres encore par son ascendance prestigieuse, que sais-je encore ? Et cette rencontre nous a-t-elle permis d'éclaircir notre lecture de l'écrivain ? Non, parce que c'est impossible, et qu'en plus, ça n'a aucune importance. On revient simplement avec des anecdotes qu'on aurait aussi bien pu trouver dans ses livres.
Je reviens pour ma part avec la tête bien essorée (par le bain de foule plus que par le reste peut-être), un petit sentiment de honte d'avoir cédé au rituel de la signature sans avoir la moindre chose un tant soit peu intelligente à partager avec cet homme que j'aime lire, dans les propos duquel il m'a parfois semblé reconnaître un ressenti commun.
Ce qui domine, c'est le sentiment d'avoir en partie perdu une journée, qui de toute façon l'aurait été, sous la pluie et par le froid, mais qui laisse un goût un peu désagréable.
Je reviens aussi avec quelques nouvelles de Dan Fante : ses mémoires sortiront aux Etats-Unis l'an prochain (rien de prévu en France pour l'instant), et l'écrivain travaille actuellement sur un polar. Oui, vous avez bien lu. Un polar à la Pulp, peut-être ?
Je reviens enfin avec deux certitudes : la littérature et le commerce ne font pas bon ménage, et on ne m'y reprendra plus.