Bien avant de le lire, c'est d'abord la personnalité de Paul Léautaud qui attirait mon attention. Dépeint comme un misanthrope qui comblait son dégoût des hommes par une tendresse et une bienveillance sans limites envers les animaux, l'écrivain consacra une grande part de son temps et l'essentiel de ses modestes revenus à ceux qu'il considérait davantage comme ses semblables que n'importe quel bipède. De sa maison de Fontenay-aux-Roses, il fit un refuge où chats et chiens trouvèrent au fil du temps un confort de vie que Léautaud se refusait à lui-même. De cet attachement singulier naquirent nombre de textes que Léautaud avait retiré de son célèbre Journal littéraire - l’œuvre de sa vie, un journal intime tenu de 1893 à sa mort en 1956 - et dont le contenu finit par être rassemblé dans Bestiaire, un ouvrage débordant de tendresse, mais qui après quelques dizaines de pages un peu répétitives, finit par me tomber des mains.
Hormis les animaux, l'un des thèmes littéraires favoris de Léautaud était les femmes. De nombreux ouvrages y sont consacrés, compilant les différentes périodes de la vie amoureuse ou plutôt sexuelle de l'écrivain, car c'est bien plus sous cet angle que le sujet est abordé. Léautaud se refuse à tout sentimentalisme, lui qui s'interdisait tout compromis et écrivait sans se soucier du qu'en-dira-t-on ne se perd pas dans les méandres de l'idéalisation du sentiment amoureux, il décrit ses relations intimes de manière quasi chirurgicale, et c'est justement à travers cette froideur apparente que finit par percer sa sensibilité dans toute son authenticité. Car bien qu'il s'en défende, il apparaît au fil des lignes une vie amoureuse qu'il manie certes avec une infinie précaution, mais qui, indiscutablement, l'a réellement et même ardemment animé.
Le petit ouvrage inachevé se consacre aux deux dernières femmes de sa vie, d'abord Anne Cayssac, trublion érotique qui fera bouillonner la vie sexuelle et sentimentale de Léautaud durant une vingtaine d'années. Comme toujours loin des conventions morales, l'écrivain semblait lui vouer un profond respect pour son vice et son appétit sexuel, et les jeux érotiques auxquels il se livra avec elle apparaissent comme des références absolues lorsque la toute dernière femme de sa vie, Marie Dormoy (à qui on doit bon nombre de publication posthumes de Léautaud, dont celle-ci), apparaît dans sa vie. Ce petit ouvrage brouillon, passant de l'une à l'autre de ses maîtresses sans souci chronologique ou narratif, instaure, si ce n'est une hiérarchie, une comparaison permanente entre les deux femmes. Comblé sexuellement par l'une, et sentimentalement par l'autre ? Il est difficile de se forger un jugement tranché, ce qui est certain, c'est que l'une comme l'autre a marqué la vie de l'écrivain, et lui a par la même occasion inspiré quelques formules pleines d'inspiration sur l'amour et l'idée que l'on peut s'en faire en le regardant sans trop de complaisance.
" (...) On peut adorer une femme, cela n'empêche pas de penser qu'elle est une créature humaine, et, comme telle, capable de toutes les actions, peut-être surtout les mauvaises. De là me sont venus beaucoup de mes mécomptes en amour, de cette méfiance, de ce jugement toujours intact, mêlés à tant de passion. Je l'ai déjà dit : les femmes veulent être admirées et je n'admire point les femmes. (...)"
" (...) Je ne démarrais pas de mon affirmation : sans la jalousie, pas d'amour vrai, ajoutant au surplus qu'il y a bien rarement jalousie sans cause. (...)"
" (...) Quand elle me parlait de sa gratitude, de sa reconnaissance pour tout ce qu'elle lui doit à cet égard - j'en ai vu de sa part des témoignages écrits, qui ne m'ont jamais été agréables, si fou que ce puisse être - je cherchais - la reconnaissance est un sentiment qui m'étonne un peu toujours - ce qu'il pouvait y avoir de plus ou moins complètement et uniquement vrai dans ces mots, sans rien d'une autre nature, qu'aujourd'hui, du reste, que je la connais mieux, femme trop peu passionnée pour que les plaisirs de l'amour puissent pour elle créer un lien un peu profond, un peu durable. Les femmes n'ont pas les souvenirs que nous gardons - ou les ont moindres - , elles sont amoureuses dans le moment. Je crois bien être dans le vrai en écrivant cela, et pour elle, si peu démonstrative, elle me paraît bien ne voir dans un homme que l'instrument de son plaisir, sans rien en elle après. (...) "
" (...) Comme la jalousie peut aussi rendre moral ! Ce que je trouve tout naturel, délicieux, entre elle et moi, m'apparaissait, surtout de sa part, à son âge, avec un homme de soixante ans, dépravé, pervers, presque répugnant. Je trouvais aussi dans les caresses, de sa part, quelque chose de plus vicieux, de plus sensuel, de plus amoureux (et mon erreur était grande, j'eus à l'apprendre par la suite, si toutefois elle a dit vrai) que si elle se fût donnée réellement par la sorte de plaisir un peu bas que ces caresses comportent pour chacun des amants à voir l'autre en pareille posture. Je me dressai, déchiré, la pris par une épaule, dans une légère violence, lui faisant moqueusement compliment en termes vifs : « Tu étais une jolie... » en même temps la couvrant de baisers, repris d'un ardent désir d'elle. « Tu vois, me dit-elle tristement. Tu veux toujours savoir, je te réponds et tu es malheureux. »
Je dois l'avoir joliment blessée, et déçue (elle se contenta de répondre : « Je sais ! ») le jour qui n'est pas loin, nous étions allés ensemble voir au théâtre une de ses amies, que, revenant une fois de plus sur ce qu'est devenue notre liaison et lui disant que je ne conçois pas des relations entre un homme et une femme sans l'amour, je lui dis : « Je n'ai besoin de commerce spirituel avec personne. » Ce qui est la vérité. Il n'y a jamais rien eu d'intellectuel dans mes amours. J'ai toujours ri dans ma vie des gens qui dédient leur ouvrage à leur femme. (...) "
Hormis les animaux, l'un des thèmes littéraires favoris de Léautaud était les femmes. De nombreux ouvrages y sont consacrés, compilant les différentes périodes de la vie amoureuse ou plutôt sexuelle de l'écrivain, car c'est bien plus sous cet angle que le sujet est abordé. Léautaud se refuse à tout sentimentalisme, lui qui s'interdisait tout compromis et écrivait sans se soucier du qu'en-dira-t-on ne se perd pas dans les méandres de l'idéalisation du sentiment amoureux, il décrit ses relations intimes de manière quasi chirurgicale, et c'est justement à travers cette froideur apparente que finit par percer sa sensibilité dans toute son authenticité. Car bien qu'il s'en défende, il apparaît au fil des lignes une vie amoureuse qu'il manie certes avec une infinie précaution, mais qui, indiscutablement, l'a réellement et même ardemment animé.
Le petit ouvrage inachevé se consacre aux deux dernières femmes de sa vie, d'abord Anne Cayssac, trublion érotique qui fera bouillonner la vie sexuelle et sentimentale de Léautaud durant une vingtaine d'années. Comme toujours loin des conventions morales, l'écrivain semblait lui vouer un profond respect pour son vice et son appétit sexuel, et les jeux érotiques auxquels il se livra avec elle apparaissent comme des références absolues lorsque la toute dernière femme de sa vie, Marie Dormoy (à qui on doit bon nombre de publication posthumes de Léautaud, dont celle-ci), apparaît dans sa vie. Ce petit ouvrage brouillon, passant de l'une à l'autre de ses maîtresses sans souci chronologique ou narratif, instaure, si ce n'est une hiérarchie, une comparaison permanente entre les deux femmes. Comblé sexuellement par l'une, et sentimentalement par l'autre ? Il est difficile de se forger un jugement tranché, ce qui est certain, c'est que l'une comme l'autre a marqué la vie de l'écrivain, et lui a par la même occasion inspiré quelques formules pleines d'inspiration sur l'amour et l'idée que l'on peut s'en faire en le regardant sans trop de complaisance.
" (...) On peut adorer une femme, cela n'empêche pas de penser qu'elle est une créature humaine, et, comme telle, capable de toutes les actions, peut-être surtout les mauvaises. De là me sont venus beaucoup de mes mécomptes en amour, de cette méfiance, de ce jugement toujours intact, mêlés à tant de passion. Je l'ai déjà dit : les femmes veulent être admirées et je n'admire point les femmes. (...)"
" (...) Je ne démarrais pas de mon affirmation : sans la jalousie, pas d'amour vrai, ajoutant au surplus qu'il y a bien rarement jalousie sans cause. (...)"
" (...) Quand elle me parlait de sa gratitude, de sa reconnaissance pour tout ce qu'elle lui doit à cet égard - j'en ai vu de sa part des témoignages écrits, qui ne m'ont jamais été agréables, si fou que ce puisse être - je cherchais - la reconnaissance est un sentiment qui m'étonne un peu toujours - ce qu'il pouvait y avoir de plus ou moins complètement et uniquement vrai dans ces mots, sans rien d'une autre nature, qu'aujourd'hui, du reste, que je la connais mieux, femme trop peu passionnée pour que les plaisirs de l'amour puissent pour elle créer un lien un peu profond, un peu durable. Les femmes n'ont pas les souvenirs que nous gardons - ou les ont moindres - , elles sont amoureuses dans le moment. Je crois bien être dans le vrai en écrivant cela, et pour elle, si peu démonstrative, elle me paraît bien ne voir dans un homme que l'instrument de son plaisir, sans rien en elle après. (...) "
" (...) Comme la jalousie peut aussi rendre moral ! Ce que je trouve tout naturel, délicieux, entre elle et moi, m'apparaissait, surtout de sa part, à son âge, avec un homme de soixante ans, dépravé, pervers, presque répugnant. Je trouvais aussi dans les caresses, de sa part, quelque chose de plus vicieux, de plus sensuel, de plus amoureux (et mon erreur était grande, j'eus à l'apprendre par la suite, si toutefois elle a dit vrai) que si elle se fût donnée réellement par la sorte de plaisir un peu bas que ces caresses comportent pour chacun des amants à voir l'autre en pareille posture. Je me dressai, déchiré, la pris par une épaule, dans une légère violence, lui faisant moqueusement compliment en termes vifs : « Tu étais une jolie... » en même temps la couvrant de baisers, repris d'un ardent désir d'elle. « Tu vois, me dit-elle tristement. Tu veux toujours savoir, je te réponds et tu es malheureux. »
Je dois l'avoir joliment blessée, et déçue (elle se contenta de répondre : « Je sais ! ») le jour qui n'est pas loin, nous étions allés ensemble voir au théâtre une de ses amies, que, revenant une fois de plus sur ce qu'est devenue notre liaison et lui disant que je ne conçois pas des relations entre un homme et une femme sans l'amour, je lui dis : « Je n'ai besoin de commerce spirituel avec personne. » Ce qui est la vérité. Il n'y a jamais rien eu d'intellectuel dans mes amours. J'ai toujours ri dans ma vie des gens qui dédient leur ouvrage à leur femme. (...) "
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