10 février 2009

BUKOWSKI, sur la douleur

« La douleur est une chose étrange. Un chat tue un oiseau, un accident de voiture, un incendie... La douleur te tombe dessus, BANG, et voilà qu'elle s'assied sur toi. Elle est réelle. Aux yeux de n'importe qui, tu as l'air d'un imbécile. Comme si t'étais soudain devenu le dernier des débiles. Et c'est sans remède, à moins de connaître quelqu'un qui comprenne ce que tu ressens et qui sache comment t'aider. »

Charles Bukowski, extrait de Women (1978) ; traduction de Brice Matthieussent (Grasset / Livre de poche)

6 février 2009

Olivier BARDOLLE, sur l'amour (florilège)

"Il y en a tant qui confondent l'amour et l'angoisse. En pleine crise, le mal-être s'est cristallisé sur autrui. Voilà tout, on aime l'autre comme le naufragé aime sa bouée."


"L'exclusivité débouche toujours sur le conflit, la rupture, voire la haine, parce qu'elle se fonde sur la frustration. C'est seulement en renonçant à l'idée d'exclusivité que l'on peut accéder à la fidélité. Elle seule sait apprivoiser la durée, parce qu'elle n'a pas de comptes à rendre, qu'elle est libre, qu'elle procède de l'élection et non de la contrainte. Sur l'écueil de l'exclusivité se fracassent tous les serments d'amour."


"L'oubli de soi constitue le bonheur méconnu de la relation amoureuse. On s'éprend de l'autre et, ce faisant, on se déprend de soi, on s'allège de ce fardeau du moi qui pèse tout au long de l'existence d'un poids sans cesse accru. D'où ce sentiment de légèreté que ressent l'énamouré qui n'a plus à se supporter. En ce point insoupçonné réside le mystère de l'extase amoureuse, ce n'est pas tant l'autre qui nous procure un tel bonheur que le fait d'être enfin débarrassé de soi."


"L'amour suprême est celui qui est capable de laisser l'autre tranquille, qui peut le regarder évoluer sans intervenir, et s'en réjouir, mais qui sait s'en rapprocher lorsque la nécessité s'en fait sentir. C'est aussi celui qui aime l'inconnu en l'autre, son mystère, qui lui permet d'« être autrement ». L'amour véritable est humble et ne craint pas l'altérité."


"Les conditions d'accès au sexe font de vous un homme à qui vous n'aimeriez pas serrer la main. Un homme veule, prêt à débiter toute sorte de sornettes, à faire le paon, le drôle, et qui n'hésite pas à trouver passionnante chaque sottise que lui assène la femelle convoitée, laquelle teste ainsi le degré d'assujettissement du bonhomme et l'amène à la plus grande niaiserie au moment de lui ouvrir son lit. Non, décidément, la parade amoureuse n'est pas une élévation."


"On ne peut pas ne pas croire en l'amour, mais on peut être sceptique à l'égard de l'amour durable. Tout le problème est là : cette émotion est intense mais provisoire. Rien n'est plus difficile que d'aimer et de s'y tenir. On a trop besoin de changement, de divertissement, on veut être surpris en permanence, on veut que l'autre nous étonne chaque matin, mais l'autre, il n'en peut plus le pauvre, il a tout donné d'emblée, il ne sait plus quoi inventer, il fatigue, c'est humain. Il faut beaucoup d'imagination et d'énergie pour réinventer la vie tous les jours, mieux vaut laisser filer « l'ennuyé », l'avide de sentiments, vers d'autres horizons. Et pourtant, l'amour et ses insatisfactions sont, après la mort et la faim, le troisième sujet de préoccupation des hommes."


"L'amitié comme l'amour souffre toujours d'un excès de fréquentation. Passé la phase de fascination réciproque, on s'installe dans la familiarité, ce qui rassure un certain temps. Et puis, à la longue, on fatigue, on radote, on se répète les mêmes histoires, chacun connait à fond le répertoire de l'autre. A la fin, on se tait et on se contente de hocher la tête distraitement, lassé. C'est là qu'il faut rompre, s'écarter, se ressourcer dans l'oubli."


"Les deux grands moments de l'amour, ceux qui vous transforment : la rencontre et la rupture. Entre les deux, la routine."


"Tant que vous vous aimez l'un l'autre, à bonne distance, tout va bien, et puis « vous vous mettez en ménage », quel programme ! Quelle extase !  Vaisselle et balayage, récriminations et babillages, les « horreurs de l'amour » taillent leur triste chemin dans le coeur des amants. Au lieu de pouvoir écouter en paix Le Messie de Haendel, on vous demande de « faire une machine » ou de « changer la petite », et avec le sourire en plus. Le prince charmant se retrouve à se coltiner le sac à provisions. A se demander pourquoi il est descendu de cheval."


"Toute tentative de séduction est une forme d'escroquerie. On le sait bien, mais on veut plaire. Alors on se maquille, on s'enjolive, on use de jolis mots, et puis, une fois l'autre « attrapé », on se relâche, on redevient soi-même, et c'est là que tout se gâte, chacun ayant l'impression de s'être fait avoir, de s'être littéralement « fait baiser ». Les prémices de l'amour ne sont qu'arnaques, chausse-trappes et jeux de dupes. Il convient de franchir cette étape le plus vite possible, d'aller à l'essentiel, à la connaissance de l'autre, dans sa plus simple vérité, pour, peut-être, parvenir à l'aimer enfin."


"A votre prochain coup de foudre, pour faire tomber la fièvre, dites-vous simplement que vous venez de rencontrer votre futur bourreau. Vous vous sentirez mieux tout de suite."


"En définitive, on peut toujours faire de l'amour sa bête noire, sa tête de Turc, son bouc émissaire, lui cogner dessus, le ridiculiser, le mépriser, lui en vouloir à mort, le considérer comme une perte de temps, un insupportable gâchis, le traiter comme Céline d' « infini à la portée des caniches », le trouver sale, franchement répugnant, il n'empêche, on ne peut vivre sans lui."


Olivier Bardolle, Le monologue implacable (Editions Ramsay, 2003)

5 février 2009

BUKOWSKI : la mort - fière - maigre

je vois des vieux à la retraite dans les
supermarchés et ils sont maigres et ils sont
fiers et ils vont mourir
ils crèvent de faim debout et ne disent
rien. longtemps auparavant, entre autre mensonges,
on leur a appris que le silence était signe de
courage. maintenant, après une vie de travail
l'inflation les a piégés. ils regardent autour d'eux
volent un grain de raisin
le mâchent. finalement ils font un tout petit
achat, équivalent à ce qu'ils touchent chaque jour.
un autre mensonge qu'on leur a appris :
tu ne voleras point.
ils préféreraient mourir de faim que voler
(un grain de raisin ne les sauvera pas)
et dans leurs chambres minuscules
devant des pubs de bouffe
ils mourront de faim
crèveront sans un bruit
sortis des meublés
par de jeunes garçons blonds aux longs cheveux
qui les glisseront dans le fourgon
démarreront, ces
garçons
aux beaux yeux
pensant à Las Vegas et aux chattes et
à la victoire.
c'est dans l'ordre des choses : chacun
a un goût de paradis
avant l'enfer.
 


Charles Bukowski, Avec les damnés.

2 février 2009

Knut HAMSUN : Sous l'étoile d'automne

Knut Hamsun - en aparté, si quelqu'un connait la prononciation exacte, je suis preneur, je miserais timidement pour quelque chose s'approchant de "Knoute Hame-Soune", mais sans certitude  -  est un écrivain norvégien (1859-1952), auteur d'un grand nombre de romans dont le plus réputé est sans doute La faim (prochaine étape en ce qui me concerne), et récompensé en 1920 par un Prix Nobel de Littérature. Publié en 1906,  Sous l'étoile d'automne est le premier volet d'une des deux trilogies dites du vagabond. C'est aussi un très court roman, de tout juste 150 pages.

Sous l'étoile d'automne est le récit des pérégrinations d'un homme entre deux âges, fuyant son ancienne vie citadine qu'on devine aisée et confortable pour retrouver la tranquillité des choses simples. Au début du roman, Knut Pedersen vit retiré sur une île proche du littoral norvégien, où il loue une chambre dans une pension. Il y retrouve par hasard un ancien camarade de jeunesse avec qui il part à l'aventure sur les routes, retrouver en quelque sorte la simplicité de l'existence qu'il menait dans sa jeunesse, à vivre d'un travail manuel, sans trop de contraintes. Pedersen est un homme taciturne et mélancolique, et on devine assez vite la source de son mal-être. C'est un homme rongé par la solitude. Il croise au cours du roman deux femmes, deux amours impossibles auxquels il ne peut s'empêcher de rêver. La première est une jeune fille dont il apprendra plus tard qu'elle partageait l'attirance qu'il s'efforçait lui-même de refouler, et la seconde, une femme mariée, insaisissable,  avec laquelle se tisse une relation ambiguë et dont il espère l'amour tant rêvé, en vain.

Sa relation à l'amour et aux femmes est en quelque sorte au centre du roman, une relation parasitée par son  incapacité à comprendre les autres, à se sentir heureux, où qu'il soit, et à savoir ce qu'il souhaite réellement. La peur de la mort ne rôde pas bien loin dans cette quête éperdue de sens à sa vie. Une histoire à la portée tout ce qu'il y a de plus universelle, au fond. Un roman intéressant, donc. 

« (…) Aïe ! comme il est difficile de réussir calmement, joliment, le passage fatidique à la vieillesse. La crispation intervient, l'esbroufe, les grimaces, , la lutte contre les jeunes, l'envie. (…) »

« (…)  Me voici loin du vacarme et de la presse de la ville, des journaux et des gens, j'ai fui tout cela parce que, de nouveau, on m'appelait de la campagne et de la solitude dont je suis originaire. Je pense, plein d'espoir : Tu verras, tout va bien aller. Hélas ! Je me suis déjà enfui de la sorte et je suis retourné à la ville. Et me suis de nouveau enfui. (…) »

« (…)  Il a peut-être raison, Grindhusen, on trouvera bien un moyen pour tout, demain comme aujourd'hui. Voilà deux semaines que je n'ai pas lu les journaux et je vis tout de même, je vais bien, je fais de grands progrès en calme intérieur, je chante, je me pavane, je vais tête nue, contemplant le ciel, le soir.
Ces dix-huit dernières années, quand j'allais au café, je rendais la fourchette au garçon quand elle n'était pas propre, ici, chez Gunhild, je ne rends aucune fourchette ! As-tu vu Grindhusen, me dis-je à moi-même, quand il allume sa pipe, il utilise son allumette jusqu'au bout, sans pourtant brûler ses doigts endurcis. J'avais remarqué qu'il y avait une mouche sur sa main, il l'avait laissée aller, peut-être ne l'avait-il pas sentie. C'est ainsi qu'un homme doit réagir envers les mouches... (…) »

1 février 2009

BUKOWSKI : La cause et l'effet

les meilleurs meurent souvent de leur propre main
juste pour se libérer
et ceux qui restent
ne comprennent jamais vraiment
pourquoi
on voudrait
se libérer
d'eux


Charles Bukowski
, poème extrait du recueil Le ragoût du septuagénaire (1990) / Éditions Grasset et Livres de Poche / Traduction de Michel Lederer.
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...

Articles les plus consultés cette semaine