25 janvier 2009

John FANTE : Rêves de Bunker Hill

Écrit un an avant sa mort, en 1982, alors que l’écrivain était fortement diminué physiquement en raison du diabète dont il souffrait (aveugle, John Fante s’en remit à sa femme Joyce pour dactylographier le texte qu’il lui dicta de la première à la dernière ligne), l’histoire nous replonge dans les années 30, situant ainsi approximativement cet ultime roman dans l’œuvre de  Fante à la suite chronologique de Demande à la poussière.

On y retrouve un Arturo Bandini qu’on devine légèrement plus âgé que dans le roman culte de Fante, délaissant la littérature pour faire ses premiers pas dans l’industrie cinématographique Hollywoodienne en tant que scénariste. Après la dèche qui lui collait à la peau dans Demande à la poussière, Bandini s’embourgeoise quelque peu en décrochant son premier contrat pour le compte d’un producteur à succès. Mais Bandini s’ennuie, ce travail lui apporte certes la sécurité matérielle, mais pas la gloire tant rêvée. En amour, le jeune homme n’est guère plus heureux, son tempérament excessif et impulsif lui joue comme toujours de sérieux tours, et c’est finalement dans les bras d’une femme en âge d’être sa mère qu’il finit par se fixer, en attendant la tempête, à laquelle le facétieux Bandini ne tarde jamais à s’exposer, et dans laquelle il se vautre même il faut bien le dire avec une habileté certaine…

Si on retrouve globalement le style qui fit la légende de Fante sur le tard, le ton donné à Rêves de Bunker Hill est légèrement plus pimenté qu’à l’habitude. Fante n’hésite pas à se laisser aller à quelques considérations plus salaces que par le passé, qui l’engagent parfois un peu dans le sillage de son élève et admirateur dévoué : Bukowski. Fante se lâche, donc, mais sans rien perdre de son style, si tendre, jouissif, drôle, émouvant, le tout servi avec la fraîcheur de ses jeunes années qu’il n’a semble-t-il jamais perdue… Du Fante pur jus, en résumé.

« Ma première rencontre avec la gloire fut tout sauf mémorable. Je travaillais comme saute-ruisseau dans un magasin de délicatessen, chez Marx’s. C’était en 1934. Le magasin se trouvait à Los Angeles, au coin de la Troisième Avenue et de Hill. J’avais vingt et un ans et vivais dans un monde limité à l’ouest par Bunker Hill, à l’est par Los Angeles Street, au sud par Pershing Square, au nord par le Centre Civique. J’étais le roi des saute-ruisseau doté de toute la verve et du style inimitable de la profession, et bien qu’horriblement mal payé (un dollar par jour plus les repas), j’attirais l’attention unanime quand je virevoltais de table en table, tenant mon plateau en équilibre sur une main et provoquant les sourires de tous les clients. En plus de mes talents de serveur, j’avais un autre atout pour mes patrons, car j’étais également écrivain. Ce fait bénéficia d’une certaine renommée après qu’un photographe soûl du Los Angeles Times se fut installé au bar pour prendre plusieurs clichés de moi en train de servir une cliente, qui levait vers moi des yeux pleins d’admiration. Le lendemain, j’avais ma photo dans le Times ; l’article attenant parlait de la lutte et des succès du jeune Arturo Bandini, un gamin ambitieux et travailleur originaire du Colorado, qui s’était fait un nom dans la jungle des revues littéraires en vendant une de ses nouvelles à l’American Phoenix, dirigée comme il se doit par le monstre sacré de la littérature américaine – j’ai bien sûr nommé Heinrich Muller. »

« (…) Je levai les yeux vers la fenêtre de mon bureau. Je ne pouvais pas retourner là-haut. De fait, je ne le pouvais pas, car je me sentais trahi. Du Mont m’avait joué un sale tour. Maintenant j’avais honte des coupes sauvages effectuées dans le manuscrit de Jennifer. Si quelqu’un avait caviardé un de mes textes de la sorte, je lui aurais mis mon poing dans la figure. Je me demandais ce que Heinrich Muller aurait pensé de mon intégrité. Mon intégrité ! Cela me fit éclater de rire. Intégrité – des couilles. J’étais un minable, un zéro. Au diable tout ça. Je décidai d’aller acheter une paire de pantalons. Il me restait plus de cent dollars. Je désirais oublier mes ennuis et me lancer à corps perdu dans des dépenses inconsidérées. L’argent est fait pour être dépensé, non ? (…) »

« (…) « Bonjour ! » dis-je. « Je ne savais pas que vous habitiez ici. »
« Je viens juste d’arriver. »
« Vous travaillez dans le quartier ? »
« Je suppose qu’on peut dire ça. » Elle me décocha un regard plein de sensualité. « Vous voulez qu’on se voie ? »
« Quand ? »
« Pourquoi pas tout de suite ? »
Je ne la désirais pas. Rien chez elle ne m’attirait, mais je devais me conduire en homme. Il n’y a qu’une seule issue à ce genre de situation :
« Avec plaisir », dis-je. (…) »

« (…) Un jour, à l’heure du déjeuner, je montai à la salle à manger privée où se réunissait la crème des scénaristes et des metteurs en scène. Je m’assis à une longue table et me retrouvai entre John Garfield et Rowland Brown, le metteur en scène. Pour briser la glace, je dis à Garfield : « Passez-moi le sel, s’il vous plait. »
Il me le donna sans un mot. Me tournant vers Brown, je lui demandai : Ca fait longtemps que vous travaillez ici ? »
« Seigneur, oui. » s’écria-t-il, et ce fut tout.
Je réfléchis que ce n’était pas de leur faute. J’étais le coupable, le raté, le timide manquant de confiance en soi. Je ne suis jamais remonté là-haut. (…) »

« (…) Je roulai au pied du divan et me mis en position entre ses longues jambes fuselées gainées de bas, mais ma fermeture Eclair était coincée, et je me battis désespérément avec elle. Les mains de Thelma descendirent vers ma ceinture, et après un effort violent mon pantalon fut sur mes chevilles. Je me penchai sur elle, mon outil au garde-à-vous ; j’essayai de la harponner, mais ratai mon coup plusieurs fois de suite. Thelma poussa un petit cri de contrariété, puis saisit mon truc pour essayer de le faire entrer. A cet instant précis, j’entendis le bouton de porte grincer, le bruit de la porte qui s’ouvrait, je dirigeai mes yeux vers la porte et découvris Harry Schindler qui nous regardait. Toute vie abandonna mon outil, et je restai allongé là, pétrifié de terreur, tandis que Thelma, elle aussi en état de choc, tenait ma verge molle dans sa main. (…) »


« (…) Que fais-je ici, me demandai-je. Je déteste cet endroit, cette ville hostile. Pourquoi me rejetait-elle toujours comme un orphelin indésirable ? N’avais-je pas payé mon dû ? N’avais-je pas travaillé d’arrache-pied, fait l’impossible pour trouver une place au soleil ? Qu’avait donc cette ville contre moi ? Mes ennuis tenaient-ils à ma gaucherie de paysan, à la conviction chez moi bien ancrée de ne pas être tout à fait comme les autres ? (…) »
 

1 commentaire:

  1. ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
    +++++++++++++++++++++++++++++++

    C'est pourtant un des seuls Fante que je n'ai pas aimé ! comme quoi...

    Commentaire n°1 posté par Zorglub le 27/01/2009 à 10h39

    +++++++++++++++++++++++++++++++

    il t'a déçu / déplu à quel niveau ?

    Réponse de Hank le 27/01/2009 à 13h55

    +++++++++++++++++++++++++++++++

    il m'a laissé de marbre ; ses "déboires hollywoodiens" ne m'ont pas touchés :-(( !

    Commentaire n°2 posté par Zorglub le 29/01/2009 à 13h53

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