26 janvier 2009

Charles BUKOWSKI : Le postier

A l'exception de Pulp (dans lequel Charles Bukowski accommodait le polar à sa sauce), tous les romans de Bukowski sont articulés autour d'une facette de sa vie ; Le postier - son premier roman - n'échappe pas à la règle, et comme son nom l'indique, il se focalise sur la période où l'écrivain s'essaya plus ou moins à la stabilité professionnelle en entrant à la Poste, après avoir pratiqué tous les petits boulots possibles et indésirables (cf. Factotum, notamment). Débarqué par hasard et sans envie de s'y éterniser, Buk y occupera en tout plus d'une dizaine d'années de sa vie, et c'est donc en observateur averti qu'il dépeint dans Le postier le sombre portrait du "monde du travail", fait de tâches répétitives exténuantes et abrutissantes, d'obsession de la performance (les épreuves de rendement du centre de tri...), de chefaillons sadiques en mal d'autorité, et de cohabitation parfois douloureuse avec clients et collègues pour beaucoup salement névrosés.

Outre le boulot, qu'il accomplit avec une nonchalance et un détachement exemplaires, la vie sentimentale de Bukowski (ou plutôt devrais-je dire Chinaski, mais quelle différence cela fait ?) tient également une large part du roman, dans lequel on croise trois catégories de femmes : celles qui ont compté (sa compagne de beuveries Betty, et Fay qui fera de l'asocial flamboyant un père certes peu présent, mais néanmoins très attendri par sa fille), les distractions relativement durables (la jeune et richissime Joyce), et les aventures éphémères parfois glauques  (Mary Lou l'arnaqueuse, la détraquée de sa tournée de facteur, et nombre de femmes délaissées ramassées ici et là...).
 
L'univers où patauge Bukowski est âpre, mais comme toujours, l'écrivain lui insuffle un parfum de légèreté et une dose d'humour non négligeable, sans oublier, aussi,  une certaine tendresse pour ne pas dire l'inverse. Bukowski n'a jamais vraiment trouvé sa place dans ce monde, et pourtant, il ne ressort jamais la moindre aigreur de ses textes, jamais de méchanceté, pas même à l'égard des individus les plus méprisables qu'il a croisés. Il faut dire que l'écrivain n'a jamais pris sa vie, et la vie en général, très au sérieux, et c'est un des points qui fait toute la singularité et la force de son œuvre.

« Ça a commencé par erreur.
C'étaient les fêtes de Noël et j'avais appris par le pochard en haut de la côte, qui faisait le coup à chaque Noël, qu'ils embauchaient quasiment n'importe qui, alors j'y suis allé et sans avoir le temps de réaliser je me suis retrouvé avec une sacoche en cuir sur le dos à cavaler comme bon me semblait. Parlez d'un boulot, que je pensais. Peinard ! Ils vous donnaient juste un ou 2 pâtés de maisons à faire et si vous arriviez à finir, le facteur titulaire vous en donnait encore un autre à distribuer, ou alors vous pouviez rentrer et le chef vous en donnait un autre, mais surtout, vous preniez bien tout votre temps pour fourrer ces cartes de Noël dans les fentes. (…) »

« (…) Alors le vieux a fait un gros chèque à Joyce et ça y était. On a loué une petite maison sur une colline, et puis Joyce s'est mise à me sortir toute cette morale stupide.
« On devrait trouver un travail tous les deux », disait Joyce, « pour leur prouver que tu cours pas après leur argent. Leur prouver qu'on peut se débrouiller tout seuls. »
« Baby, c'est de la gaminerie. N'importe quel crétin est capable de mendier un boulot quelconque ; mais faut être un sage pour l'étaler sans travailler. Ici on appelle ça "la démerde". J'aimerais être un bon démerdard.  »  (…) »


« (…) Je sais pas comment ça arrive aux gens. J'avais une gosse à nourrir, besoin de boire quelque chose, y'avait le loyer, les chaussures, chemises, chaussettes, tous ces trucs. Comme tout le monde j'avais besoin d'une vieille voiture, quelque chose à manger, tous les petits aléas.
Comme les femmes.
Ou un jour aux courses.
A vivre au jour le jour et sans porte de sortie, vous n'y pensez même pas.
Je me suis garé en face du Federal Building et j'ai attendu que le feu passe au vert. J'ai traversé. Poussé les portes à battants. C'était comme si j'avais été un morceau de fer attiré par un aimant. Je n'y pouvais plus rien.
C'était au 1er étage. J'ai ouvert la porte et ils étaient là. Les employés du Federal Building. J'ai remarqué une fille, la pauvre, un bras seulement. Ca faisait une éternité qu'elle était là. C'était comme être un vieux pochard comme moi.  Enfin, comme disaient les gars, faut bien travailler quelque part. Alors ils acceptaient ce qu'il y avait. C'était la sagesse de l'esclave.
Une jeune noire s'est approchée. Elle était bien habillée et contente de sa situation. J'étais content pour elle.  Avec son job, moi, je serais devenu cinglé.
« Oui ? »  elle a dit.
« Je suis préposé aux postes », j'ai dit, « je veux démissionner. »  (…) »

1 commentaire:

  1. ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
    +++++++++++++++++++++++++++++++

    Il a passé 15 ans à la Poste en 2 fois : 3 ans puis 12 ans

    Commentaire n°1 posté par Zorglub le 27/01/2009 à 10h42

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