20 novembre 2008

Dan FANTE : En crachant du haut des buildings

Je me méfie habituellement des fils-de ; d’un point de vue artistique et en l’occurrence littéraire, un rejeton lutte rarement à armes égales avec son géniteur, et lorsque ce dernier se nomme John Fante, toute tentative de se faire un prénom relève du pari perdu d'avance.  L’immense talent du père aurait dû réfréner les ardeurs de Dan Fante, mais au bout du compte, grand bien lui prit de se risquer à ce jeu des comparaisons a priori déséquilibré, car incontestablement, si le père était un grand écrivain, le fils est quant à lui loin d’être un scribouilleur.

En crachant du haut des buildings
, c’est le récit en grande partie autobiographique d’un Californien venant de débarquer à New York, pas franchement travailleur mais obligé de turbiner, sans ambition particulière, mais tentant malgré tout de percer en tant qu’auteur dramatique à Broadway (en travaillant mollement sur une pièce qui semble vouée à l'inachèvement).  Bruno Dante - le double romanesque de Dan Fante - cumule les boulots improbables, d’arracheur d’agrafes à placeur dans un cinéma miteux, de laveur de carreaux à chauffeur de taxi dans la jungle new-yorkaise, en passant par vendeur de ceintures à la sauvette… il se soûle dès que l’occasion se présente, pour ne plus entendre les voix qui le harcèlent à jeun, ou tout simplement pour s’oublier lui-même.
 
Bien que dans son roman Dan Fante cite à plusieurs reprises Hubert Selby Jr., En crachant du haut des buildings marche plus clairement sur les traces du plus grand admirateur de Fante père, je veux bien sûr parler du grand Bukowski. D’abord, le thème de En crachant du haut des buildings rappelle forcément celui de Factotum, il s’agit ici encore du parcours d’un asocial enchaînant les boulots ingrats pour survivre, entre deux cuites et quelques (plus rares) parties de jambes en l’air. Mais il y a aussi du Bukowski dans le ton, peut-être pas aussi libre et léger que le Maître, mais suffisamment rentre-dedans pour ne pas laisser indifférent. Comme chez Henry Chinaski, l’alcool occupe une place centrale dans l’existence de Bruno Dante, il y puise la force de rester en vie, et aussi celle de lutter contre ses névroses. L’univers de Dan Fante est toutefois un peu plus glauque que celui de Bukowski, et en cela, il faut sans doute voir l’influence de Selby. Quant à la comparaison avec son illustre père, elle se situe sans doute dans l'habileté à écrire un texte qui s'avérera sans doute actuel dans pas mal d'années encore. Manifestation de cet aspect intemporel, il est assez difficile de situer précisément le récit dans le temps.

"(...) Je me levai et me dirigeai vers mon bureau, le regard vissé sur les pages noircies de mots. Je vis les fautes d'orthographe, les erreurs dues à la précipitation, ma ponctuation incorrecte, lamentable. Quelle nullité ! Je balançai les feuilles dans la corbeille à papier. Je n'avais aucun talent. Pas étonnant que je picole et que je laisse les pédés me sucer le bout. Un loser, voilà ce que j'étais, condamné à ne pas avoir de boulot, presque complètement fauché, un vrai cafard collé aux murs de cette pension pleine de camés et de pervers. Je n'avais que ce que je méritais. (...)

"(...) J'aime bien changer de boulot. Je n'ai pas de gros besoins. Je n'ai pas spécialement envie de détenir des actions ou de participer à la redistribution des profits, je n'aime pas non plus me sentir coincé dans un moule, ni devoir baiser quelqu'un pour monter les échelons dans une boîte.  Quand on ne fait que des boulots d'intérim, on arrive presque toujours à éviter toutes ces histoires de personnes auxquelles on a systématiquement droit avec un boulot régulier - compétition, favoritisme, politique et le reste, comme ce qui m'était rapidement tombé dessus quand je bossais pour le cinéma. Il suffit d'un coup de fil et d'une demande de réaffectation pour se sortir d'une situation merdique. (...)"

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